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subtiles et les plus parfaites des combinaisons sociologiques [5]. Il
est a l'oppose meme des ecoles qui croient qu'un grand peuple peut
sortir d'une grande idee, et, la comme ailleurs, rien ne lui parait plus
faux que la pretendue souverainete de la raison. Il est tres franchement
monarchiste, conservateur et antidemocrate. Sans etudier a fond la
question, car la politique est au nombre des choses qui ne l'interessent
point, quand il rencontre la theorie de la souverainete du peuple, il
lui fait la supreme injure: il ne la tient pas pour une theorie. Il la
prend pour un appareil oratoire a l'usage de ceux qui veulent assassiner
les souverains, et complaisamment nous la montre reparaissant dans
les ouvrages des tyrannicides appartenant aux ecoles les plus
diverses.--Seulement son impartialite ordinaire est ici un peu en
defaut. M. de Bonald, non sans bonnes raisons, attribuait le dogme de
la souverainete du peuple aux ecoles protestantes, et c'est surtout aux
jesuites que Bayle l'impute de preference. Il n'ignore pas, et connait
trop bien pour cela la _Justification du meurtre du duc de Bourgogne_
par Jean Petit en 1407, que la theorie est anterieure aux jesuites aussi
bien qu'aux lutheriens, et il declare meme que "l'opinion que l'autorite
des rois est inferieure a celle du peuple et qu'ils peuvent etre punis
en certains cas, a ete enseignee et mise en pratique dans tous 1es pays
du monde, dans tous les siecles et dans toutes les communions [6]"; mais
il assure que si ce ne sont pas les jesuites qui ont invente ces deux
sentiments, ce sont eux qui en ont tire les consequences les plus
extremes; et il s'etend longuement sur l'apologie du crime de
Jacques Clement et sur le _De Rege et regis institutione_ de
Mariana[7].--Evidemment, chose bien rare dans Bayle, notre auteur, ici,
s'interesse personnellement dans l'affaire. C'est un homme tranquille
et timide qui a besoin d'une autorite indiscutee et inebranlable
pour proteger la paix de son cabinet de travail, qui en affaires
philosophiques se contente de mepriser la foule illettree, brutale et
incapable de raisonner juste, meme sur ses interets; mais qui en choses
politiques en a peur, n'aime point qu'on lui fournisse des theories a
exciter ses passions, a decorer d'un beau nom ses violences et a excuser
d'un beau pretexte ses fureurs; et qui, sur ces matieres, est tout
franchement de l'avis de Hobbes.
[Note 5: Article sur _Hobbes_.]
[Note 6: Article _Loyola_.]
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