our lui comme une obsession. On dirait un
chretien du IIIe siecle attaquant les paiens, ou un homme de parti
de notre temps qui ne peut dire une parole, dans l'entretien le plus
indifferent, sans exprimer son horreur pour le parti adverse.--Et, en
effet, sa critique, toute de detail, a bien ce caractere. Dans son
_Discours sur la nature de l'Eglogue_, il fait son proces a Theocrite,
puis a Virgile, reprochant a l'un surtout d'etre trop bas, et a l'autre
surtout d'etre trop haut, mais trouvant moyen aussi de montrer qu'il
arrive a Theocrite d'etre trop haut et a Virgile d'etre trop bas. C'est
une serie de chicanes pueriles.--Quand lui-meme s'eleve un peu, et
laisse cette petite guerre pour des considerations plus serieuses, il
montre une inquietante infirmite. Il n'atteint pas la grande poesie,
c'est-a-dire la poesie. Le _Silene_ de Virgile lui parait une etrange
absurdite, a lui, homme de science, et qui, ailleurs, comprend la
majeste de la nature. C'est que _Silene_ est lyrique, et c'est le
lyrisme qui est la chose la plus etrangere a ces beaux esprits du XVIIIe
siecle commencant, aux Lamotte, aux Terrasson, et tout aussi bien,
quoique "anciens", aux Dacier. C'est ce sens de la grande poesie qui
manquera aux plus grands hommes du XVIIIe siecle, et, s'ajoutant a
d'autres causes, les maintiendra dans le mepris de l'antiquite dont
precisement le caractere est d'avoir converti en poesie tout ce qu'elle
touchait.--Il ne faut pas croire qu'en cela le XVIIIe siecle soit la
suite du XVIIe. L'ecole de 1660 a ete peu lyrique, il est vrai, et il
est bien arrive a Boileau de dire que l'excellence des anciens consiste
a peindre elegamment les petites choses[13]; mais Racine comprenait la
poesie des grandes passions tragiques autant que faisaient les anciens,
et trop meme pour etre bien entendu de son temps; et Fenelon avait le
sens de la grande mythologie, et d'Homere, autant que de Virgile; et
Boileau, "moderne" en cela au vrai sens du mot, defend contre Perrault,
non seulement Homere et Pindare, mais le lyrisme des poetes hebreux, et
donne a ce propos la definition de la poesie lyrique en homme qui sait
ce que c'est.--C'est bien vers 1700 que les hommes de prose, ou de
poesie prosaique, prennent le dessus, parce que quelque chose disparait
alors, qui, tout compte fait, et sauf tres rare exception, ne reparaitra
qu'un siecle apres, l'enthousiasme litteraire, le gout ardent du beau
pour le beau, ce qui fait les grands artistes en ver
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