refute d'abord les erreurs; mais si on ne l'arrete point la, elle refute
les verites, et quand on la laisse a sa fantaisie, elle va si loin
qu'elle ne sait plus ou elle est, ni ne trouve plus ou s'asseoir."
Voila une belle porte d'entree au XVIIIe siecle, et ou l'inscription ne
laisse rien ignorer de ce qu'on a chance de trouver dans l'enceinte.
Nous savons d'avance ce qui sera, du reste, la verite, que
l'_Encyclopedie_ et le _Dictionnaire philosophique_ ne sont que des
editions revues, corrigees et peu augmentees du _Dictionnaire_ de Bayle,
que dans ce dictionnaire est l'arsenal de tout le philosophisme, et le
magasin d'idees de tous les penseurs, depuis Fontenelle jusqu'a Volney.
Le XVIIIe siecle commence.
II
BAYLE ANNONCE LE XVIIIe SIECLE SANS EN ETRE
Et il n'en est pas moins vrai que rien ne ressemble si peu que Bayle a
un philosophe de 1750. Presque tout son caractere et presque toute sa
tournure d'esprit l'en distinguent absolument. Et d'abord c'est un homme
tres modeste, tres sage, tres honnete homme dans la grandeur de ce mot.
Laborieux, assidu, retire et silencieux, personne n'a moins aime le
fracas et le tapage, non pas meme celui de la gloire, non pas meme celui
qu'entraine une influence sur les autres hommes. De petite sante et
d'humeur tranquille, il a horreur de toute dissipation, meme de tout
divertissement. Ni visites, ni monde, ni promenades, ni, a proprement
parler, relations. La _vita umbratilis_ a ete la sienne, exactement, et
il l'a tenue pour la _vita beata_. Il a lu, toute sa vie--une plume en
main, pour mieux lire, et pour relire en resume--et voila toute son
existence. Il ne s'est soucie d'aucune espece de rapport immediat avec
ses semblables. L'idee n'est pas pour lui un commencement d'acte, et il
s'ensuit que ce n'est jamais l'action a faire qui lui dicte l'idee dont
elle a besoin; et c'est la une premiere difference entre lui et ses
successeurs, qui est infinie. Il n'a pas de dessein; il n'a que des
pensees.
Ajoutez, et voila que les differences se multiplient, qu'il n'a pour
ainsi dire pas de passions. Son trait tout a fait distinctif est meme
celui-la. Il n'est pas seulement un honnete homme et un sage--on l'est
avec des passions, quand on les dompte--il est un homme qui ne peut
pas comprendre ou qui comprend avec une peine extreme et un etonnement
profond qu'on ne soit pas un sage. Le pouvoir des passions sur les
hommes le confond. "Ce qu'il y a de plus etrange, dans le comba
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