[Note 7: Article _Mariana_.]
Enfin, en morale pratique, Bayle n'est pas un modere; il est la
moderation meme. L'exces quel qu'il soit, sauf celui du travail, qu'il
ne considere pas comme un exces, le choque, le desole et le desespere.
Son ideal n'est pas bien haut, et on peut dire qu'il n'a pas d'ideal;
mais il semble avoir voulu prouver, et par ses paroles et par son
exemple, quelle bonne regle morale ce serait deja que l'interet bien
entendu, avec un peu de bonte, qui serait encore de l'interet bien
compris. Labeur, patience, egalite d'ame, contentement de peu,
tranquillite, absence d'ambition et d'envie, et conviction qu'ambition
et envie sont plus que des fleaux, etant des ridicules du dernier
burlesque, respect des opinions des autres, sauf un peu de moquerie,
pour ne pas glisser a l'absolue indifference, c'est son caractere, et
c'est sa doctrine. La _mitis sapientia Laeli_ revient a l'esprit en le
lisant, en y ajoutant _cum grano salis_.
Tout cela en fait bien un homme qui a fraye la voie au XVIIIe siecle
et qui n'a rien de son esprit. Il eut bien hai les philosophes, et les
aurait railles un peu. Un seul se rapproche de lui par beaucoup
de points: c'est Voltaire, parce que Voltaire, en son fond, est
ultra-conservateur, ultra-monarchiste et parfaitement aristocrate; aussi
parce que Voltaire, s'il est intolerant, est partisan de la tolerance,
et, s'il est assez dur, est partisan de la douceur. Ils ont des traits
communs. Quand on lit Voltaire, on se prend a dire souvent: "Un Bayle
bilieux." Mais voila precisement la difference. Aussi emporte et apre
que Bayle etait tranquille et debonnaire, Voltaire, avec tout le fond
d'idees de Bayle, a voulu remuer le monde, et a donne, a moitie, dans
une foule d'idees qui etaient fort eloignees de ses penchants propres,
si bien qu'il y a dans Voltaire une foule de courants parfaitement
contradictoires; et Voltaire, dans ses coleres, ses haines et ses
represailles, a donne aux opinions memes qu'il avait communes avec
Bayle, un ton de violence et un emportement qui les denature.
Bayle represente un moment, tres court, tres curieux et interessant
aussi, qui n'est plus le XVIIe siecle et qui n'est pas encore le XVIIIe,
un moment de scepticisme entre deux croyances, et de demi-lassitude
intelligente et diligente entre deux efforts. L'effort religieux, tant
protestant que catholique, du XVIIe siecle s'epuise deja; l'effort
rationaliste et scientifique du XVIIIe n'a pas precisemen
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