soi-meme.
Ce qui eut console Bayle, si tant est qu'il en eut eu besoin, car
il etait peu inconsolable, c'est qu'il avait refute a l'avance ses
disciples devots jusqu'a le travestir; c'est qu'il n'y a guere aucune de
leurs theories dont il n'ait, comme par provision, denonce la temerite
et raille la vanite presomptueuse; et c'est qu'il est un precurseur de
XVIIIe siecle qui en degoute.--Il eut pu tres legitimement se laver les
mains de ce qu'on tenait pour son ouvrage, et qui, tout compte fait,
l'etait un peu. Une derniere chose l'eut fait sourire sur la terre, a
savoir son influence, et la direction, tres inattendue de lui, de son
propre prolongement parmi les hommes. Il aurait considere cette derniere
aventure comme une de ces bonnes folies de l'humanite dont il se
divertissait doucement, comme une des bonnes "scenes de la grande
comedie du monde", comme un effet des "maladies populaires de l'esprit
humain"; et il n'est pas a croire que son scepticisme desenchante et
malicieux en eut ete diminue.
FONTENELLE
Le XVIIIe siecle commence par un homme qui a ete tres intelligent et qui
n'a ete artiste a aucun degre. C'est la marque meme de cet homme, et ce
sera longtemps la marque de cette epoque. Ce qui manque tout d'abord a
Fontenelle d'une maniere eclatante, c'est la vocation, et la vocation
c'est l'originalite, et l'originalite, si elle n'est point le fond de
l'artiste, du moins en est le signe. Il vient a Paris, de bonne heure,
non point, comme les talents vigoureux, avec le dessein d'etre ceci ou
cela, mais avec la volonte d'etre quelque chose. Et ce que pourra etre
ce quelque chose, Dieu, table ou cuvette, il n'en sait rien. "Prose,
vers, que voulez-vous?" Il n'est pas poete dramatique, ou moraliste, ou
romancier. Il est homme de lettres. La chose est nouvelle, et le mot
n'existe meme pas encore. Il fait des tragedies puisqu'il est le neveu
des Corneille, des operas puisque l'opera est a la mode, des bergeries
en souvenir de Segrais, et des lettres galantes en souvenir de Voiture.
Il a en lui du Thomas Corneille, du Benserade, du Celadon et du
Trissotin.--Plusieurs disent: "C'est un sot; mais il est pretentieux.
Il reussira." Il etait pretentieux; mais il n'etait point sot. Ce
qui devait le sauver, et deja lui faisait un fond solide, c'etait sa
curiosite intelligente. Ce poete de ruelles, ce "pedant le plus joli
du monde", faisait avant la trentaine (1686) des "retraites" savantes,
comme d'autres des ret
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