une faulx, conduisant les boeufs, montant les chevaux,
ebranchant les hauts arbres, abattant les taillis avec passion. Quel
delassement, apres tant d'annees de vie de bureau, enfermee, etouffee,
miserable, de se retrouver enfin en plein air, dans une atmosphere
parfumee par les foins, les yeux charmes par la vue des choses aimees,
ses betes, ses recoltes, tout cela dans un beau cadre de verdure que
fermait au loin l'horizon changeant de la montagne dont il avait si
longtemps reve sans esperer le revoir avant de mourir.
Leve le premier dans la maison, il commencait sa journee par la
surveillance de la traite des vaches dans les etables; puis, tout son
personnel mis en train, il montait un bidet au trot doux et s'en allait
inspecter les defrichements qu'il faisait executer pour transformer en
prairies les vignes epuisees et les touyas. Cette course etait longue,
non seulement parce qu'il ne poussait pas son cheval dans ces chemins
accidentes, mais encore parce qu'il s'arretait a chaque instant pour
causer avec les paysans qu'il apercevait au travail dans leurs champs,
ou qui, lentement, cheminaient a cote de lui. Il les interrogeait, les
ecoutait: etaient-ils satisfaits de leur recolte? Et des discussions
s'engageaient sur les modes de culture employes par eux, ainsi que ceux
qu'il leur conseillait pour augmenter les produits de leurs terres; ne
se fachant jamais de se heurter a la routine, s'efforcant au contraire
avec patience et douceur, par des raisonnements a leur portee, de les
amener a comprendre ses explications.
Au retour, il ne manquait jamais de longer le Gave sous le couvert des
grands arbres, certain de rencontrer Anie, tantot dans un coin frais,
tantot dans un ilot, en train d'achever une etude d'apres nature, ce
qu'elle appelait ses Corot. Comme elle dormait lorsqu'il avait quitte,
le chateau, ils ne s'etaient pas vus encore de la journee; arrive pres
d'elle, il descendait de cheval; elle, de son cote, quittait son pliant
pour venir a lui, et ils s'embrassaient:
--Tu as bien dormi?
--Et toi, mon enfant?
Apres avoir attache la bride de son cheval a une branche, il regardait
son tableau en lui faisant ses observations et ses compliments. A la
verite, les compliments l'emportaient de beaucoup sur les critiques, car
il suffisait qu'elle eut mis la main a quelque chose pour que cette
chose devint admirable a ses yeux. S'il avait ete habitue a un dessin
plus serre et plus severe que celui dont elle se c
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