avoir.
Mais, a la longue, cette repetition meme finit par l'amener a se
demander si lorsqu'un fait porte en soi tous les caracteres de
l'evidence, on se preoccupe de cette evidence: reconnue et constatee,
c'est fini; quand le soleil brille, on ne pense pas a se dire: "il est
evident qu'il fait jour." N'est-il pas admis que la repetition d'un meme
mot est une indication a peu pres certaine du caractere de celui qui le
prononce machinalement, un aveu de ses soucis, une confession de ses
desirs? Si ce testament etait reellement sans valeur, pourquoi se
repeter a chaque instant qu'evidemment il n'en avait aucune? repeter
n'est pas prouver.
Et puis, il fallait reconnaitre aussi que le point de vue auquel on se
place pour juger un acte peut modifier singulierement la valeur qu'on
lui attribue. Ce n'etait pas en etranger, degage de tout interet
personnel, qu'il examinait la validite de ce testament. Qu'au lieu
d'instituer le capitaine legataire universel, ce fut Anie qu'il
instituat, comment le jugerait-il? Trouverait-il encore qu'evidemment il
n'avait aucune valeur? Ou bien, sans aller jusque-la, ce qui etait
excessif, que ce fut Rebenacq qui decouvrit le testament, qu'en
penserait-il? Notaire de Gaston, son conseil, jusqu'a un certain point
son confident, en tout cas en situation mieux que personne de se rendre
compte des mobiles qui l'avaient dicte, et de ceux qui plus tard
l'avaient fait reprendre pour le releguer avec des papiers
insignifiants, le declarerait-il nul? En un mot, les conclusions d'une
conscience impartiale seraient-elles les memes que celles d'une
conscience qui ne pouvait pas se placer au-dessus de considerations
personnelles?
La question etait grave, et, lorsqu'elle se presenta a son esprit, elle
le frappa fortement, sa tranquillite fut troublee, sa serenite s'envola,
et au lieu de s'endormir lourdement, comme il etait tout naturel apres
une nuit sans sommeil, il retomba dans les agitations et les perplexites
de la veille.
Vingt fois il decida de s'ouvrir des le lendemain a Rebenacq pour s'en
remettre a son jugement; mais il n'avait pas plutot pris cette
resolution, qui, au premier abord, semblait tout concilier, qu'il
l'abandonnait: car, enfin, etait-il assure de rencontrer chez Rebenacq,
ou chez tout autre, les conditions de droiture, d'independance,
d'impartialite de jugement, que par une exageration de conscience il ne
se reconnaissait pas en lui-meme, telles qu'il les aurait voulues? Ce
n'e
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