l'epanchement dans l'intimite du bien-etre.
--J'allais monter te chercher, dit Anie.
--Tu n'as pas faim aujourd'hui? demanda madame Barincq.
--Pourquoi n'aurais-je pas faim?
--Ce serait la question que je t'adresserais.
Precisement parce qu'il voulait paraitre a son aise et tel qu'il etait
tous les jours, il trahit plusieurs fois son trouble et sa
preoccupation.
--Decidement tu as quelque chose, dit madame Barincq.
--Ou vois-tu cela?
--Est-ce vrai, Anie? demanda la mere en invoquant comme toujours le
temoignage de sa fille.
Au lieu de repondre, Anie montra d'un coup d'oeil les domestiques qui
servaient a table, et madame Barincq comprit que si son mari avait
vraiment quelque chose comme elle croyait, il ne parlerait pas devant
eux.
Mais, lorsqu'en quittant la table on alla s'asseoir dans le jardin sous
un berceau de rosiers, ou tous les soirs on avait coutume de prendre le
frais en regardant le spectacle toujours nouveau du soleil couchant avec
ses effets de lumiere et d'ombres sur les sommets lointains, elle revint
a son idee.
--Parleras-tu, maintenant que personne n'est la pour nous entendre?
--Que veux-tu que je dise?
--Ce qui te preoccupe et t'assombrit.
--Rien ne me preoccupe.
--Alors pourquoi n'es-tu pas aujourd'hui comme tous les jours?
--Il me semble que je suis comme tous les jours.
--Eh bien, il me semble le contraire; tu n'as pas mange, et il y avait
des moments ou tu regardais dans le vide d'une facon qui en disait long.
Quand, pendant vingt ans, on a vecu en face l'un de l'autre, on arrive a
se connaitre et les yeux apprennent a lire. En te regardant a table, ce
soir, je retrouvais en toi la meme expression inquiete que tu avais si
souvent pendant les premieres annees de notre mariage, quand tu te
debattais contre Sauval, sans savoir si le lendemain il ne
t'etranglerait pas tout a fait.
--T'imagines-tu que je vais penser a Sauval, maintenant?
--Non; mais il n'en est pas moins vrai que j'ai revu en toi,
aujourd'hui, l'expression angoissee que tu montrais quand tu te sentais
perdu et que tu essayais de me cacher tes craintes. Voila pourquoi je te
demande ce que tu as.
Il ne pouvait pourtant pas repondre franchement.
--Si tu n'as pas mal vu, dit-il, c'est mon expression de physionomie qui
a ete trompeuse.
--Puisque tu ne veux pas repondre, c'est moi qui vais te dire d'ou vient
ton souci; nous verrons bien si tu te decideras a parler; tu es inquiet
parce que
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