de l'insomnie, tout ce que lui avait dit Rebenacq le
jour de l'enterrement et, plus tard, toutes les paroles qui s'etaient
echangees, pendant l'inventaire, entre le notaire, le juge de paix et le
greffier, lui revinrent avec nettete et precision pour prouver
l'existence de ces doutes et demontrer que le testament avait ete repris
pour etre detruit.
N'etaient-ils pas significatifs, ces chagrins qui avaient attriste les
dernieres annees de Gaston, et son inquietude, sa mefiance, constatees
par Rebenacq, ne l'etaient-elles pas aussi? pour le notaire il n'y avait
pas eu hesitation: chagrins et inquietudes qui, selon ses expressions
memes, "avaient empoisonne la fin de sa vie", provenaient des doutes qui
portaient sur la question de savoir s'il etait ou n'etait pas le pere du
capitaine. Si, pour presque tout le monde, sa paternite etait certaine,
pour lui elle ne l'etait pas, puisque ses doutes l'avaient empeche de
reconnaitre celui qu'on lui donnait pour fils et que lui-meme
n'acceptait pas comme tel.
Incontestablement, Gaston avait passe par des etats divers, ballotte
entre les extremes; un jour croyant a sa paternite, le lendemain n'y
croyant pas; malgre tout, attache a cet enfant qu'il avait eleve, et
qui d'ailleurs possedait des qualites reelles pour lesquelles on pouvait
tres bien l'aimer, en dehors de tout sentiment paternel.
En partant de ce point de vue, il etait facile de se representer comment
les choses s'etaient passees et les phases que les sentiments de Gaston
avaient suivies.
Un jour, convaincu que le capitaine etait son fils, il avait fait son
testament pour le deposer a Rebenacq; il y avait certitude chez lui; et,
des lors, son devoir l'obligeait a oublier qu'il avait un frere, pour ne
voir que son fils: c'est la loi civile qui veut que l'enfant illegitime
ne soit qu'un demi-enfant, et en cela elle obeit a des considerations
qui n'ont d'autorite qu'au point de vue social; mais la loi naturelle se
determine par d'autres raisons plus humaines: pour elle un fils,
legitime ou non, est un fils, et un frere n'est qu'un frere; en vertu de
ce principe, le frere avait ete sacrifie au fils, et cela etait
parfaitement juste.
Mais plus tard, un mois avant de mourir, cette foi en sa paternite
ebranlee pour des raisons qui restaient a decouvrir, puis detruite, le
fils, qui n'etait plus qu'un enfant auquel on s'etait attache a tort,
avait cede la premiere place au frere, et le testament avait ete repris
chez Re
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