os eut le temps d'apercevoir Raoul serrant la main du comte de
Guiche, et d'echanger un sourire contre son respectueux salut. Il
eut le temps de voir aussi la figure rayonnante du cardinal,
lorsqu'il apercut devant lui, sur la table, une masse enorme d'or
que le comte de Guiche avait gagnee, par une heureuse veine,
depuis que Son Eminence lui avait confie les cartes. Aussi,
oubliant ambassadeur, ambassade et prince, sa premiere pensee fut-
elle pour l'or.
-- Quoi! s'ecria le vieillard, tout cela... de gain?
-- Quelque chose comme cinquante mille ecus; oui, monseigneur,
repliqua le comte de Guiche en se levant. Faut-il que je rende la
place a Votre Eminence ou que je continue?
-- Rendez, rendez! Vous etes un fou. Vous reperdriez tout ce que
vous avez gagne, peste!
-- Monseigneur, dit le prince de Conde en saluant.
-- Bonsoir, monsieur le prince, dit le ministre d'un ton leger;
c'est bien aimable a vous de rendre visite a un ami malade.
-- Un ami!... murmura le comte de La Fere en voyant avec stupeur
cette alliance monstrueuse de mots; ami! lorsqu'il s'agit de
Mazarin et de Conde.
Mazarin devina la pensee de ce frondeur, car il lui sourit avec
triomphe, et tout aussitot:
-- Sire, dit-il au roi, j'ai l'honneur de presenter a Votre
Majeste M. le comte de La Fere, ambassadeur de Sa Majeste
britannique... Affaire d'Etat, messieurs! ajouta-t-il en
congediant de la main tous ceux qui garnissaient la chambre, et
qui, le prince de Conde en tete, s'eclipserent sur le geste seul
de Mazarin.
Raoul, apres un dernier regard jete au comte de La Fere, suivit
M. de Conde.
Philippe d'Anjou et la reine parurent alors se consulter comme
pour partir.
-- Affaire de famille, dit subitement Mazarin en les arretant sur
leurs sieges. Monsieur, que voici, apporte au roi une lettre par
laquelle Charles II, completement restaure sur le trone, demande
une alliance entre Monsieur, frere du roi, et Mademoiselle
Henriette, petite-fille de Henri IV... voulez vous remettre au roi
votre lettre de creance, monsieur le comte.
Athos resta un instant stupefait. Comment le ministre pouvait-il
savoir le contenu d'une lettre qui ne l'avait pas quitte un seul
instant? Cependant, toujours maitre de lui, il tendit sa depeche
au jeune roi Louis XIV, qui la prit en rougissant. Un silence
solennel regnait dans la chambre du cardinal. Il ne fut trouble
que par le bruit de l'or que Mazarin, de sa main jaune et seche,
empilait dans un coffre
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