roi timide et reveur, que Charles II
n'avait pas connaissance de ce million pendant son sejour a Paris.
-- Il me semble, ajouta le cardinal malicieusement, que Sa Majeste
le roi de la Grande-Bretagne savait parfaitement l'existence du
million, mais qu'elle preferait deux millions a un seul.
-- Sire, repondit Athos avec fermete, Sa Majeste le roi Charles II
s'est trouve en France tellement pauvre, qu'il n'avait pas
d'argent pour prendre la poste; tellement denue d'esperances,
qu'il pensa plusieurs fois a mourir. Il ignorait si bien
l'existence du million de Newcastle, que sans un gentilhomme,
sujet de Votre Majeste, depositaire moral du million et qui revela
le secret a Charles II, ce prince vegeterait encore dans le plus
cruel oubli.
-- Passons a l'idee ingenieuse, etrange et hardie, interrompit
Mazarin, dont la sagacite pressentait un echec. Quelle etait cette
idee?
-- La voici. M. Monck faisant seul obstacle au retablissement de
Sa Majeste le roi dechu, un Francais imagina de supprimer cet
obstacle.
-- Oh! oh! mais c'est un scelerat que ce Francais-la, dit Mazarin,
et l'idee n'est pas tellement ingenieuse qu'elle ne fasse brancher
ou rouer son auteur en place de Greve par arret du Parlement.
-- Votre Eminence se trompe, dit sechement Athos; je n'ai pas dit
que le Francais en question eut resolu d'assassiner Monck, mais
bien de le supprimer. Les mots de la langue francaise ont une
valeur que des gentilshommes de France connaissent absolument.
D'ailleurs, c'est affaire de guerre, et quand on sert les rois
contre leurs ennemis, on n'a pas pour juge le Parlement, on a
Dieu. Donc ce gentilhomme francais imagina de s'emparer de la
personne de M. Monck, et il executa son plan.
Le roi s'animait au recit des belles actions. Le jeune frere de Sa
Majeste frappa du poing sur la table en s'ecriant:
-- Ah! c'est beau!
-- Il enleva Monck? dit le roi, mais Monck etait dans son camp...
-- Et le gentilhomme etait seul, Sire.
-- C'est merveilleux! dit Philippe.
-- En effet, merveilleux! s'ecria le roi.
-- Bon! voila les deux petits lions dechaines, murmura le
cardinal.
Et d'un air de depit qu'il ne dissimulait pas:
-- J'ignore ces details, dit-il; en garantissez-vous
l'authenticite, monsieur?
-- D'autant plus aisement, monsieur le cardinal, que j'ai vu les
evenements.
-- Vous?
-- Oui, monseigneur.
Le roi s'etait involontairement rapproche du comte; le duc d'Anjou
avait fait volte-face, et
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