'il n'y avait pas de viande a
Coldstream. Monck, peu familiarise avec les gateaux d'orge, avait
faim, et son etat-major, aussi affame pour le moins que lui,
regardait avec anxiete a droite et a gauche pour savoir ce qu'on
preparait a souper. Monck se fit renseigner; ses eclaireurs
avaient en arrivant trouve la ville deserte et les buffets vides;
de bouchers et de boulangers, il n'y fallait pas compter a
Coldstream. On ne trouva donc pas le moindre morceau de pain pour
la table du general.
Au fur et a mesure que les recits se succedaient, aussi peu
rassurants les uns que les autres, Monck, voyant l'effroi et le
decouragement sur tous les visages, affirma qu'il n'avait pas
faim; d'ailleurs on mangerait le lendemain, puisque Lambert etait
la probablement dans l'intention de livrer bataille, et par
consequent pour livrer ses provisions s'il etait force dans
Newcastle, ou pour delivrer a jamais les soldats de Monck de la
faim s'il etait vainqueur.
Cette consolation ne fut efficace que sur le petit nombre; mais
peu importait a Monck, car Monck etait fort absolu sous les
apparences de la plus parfaite douceur.
Force fut donc a chacun d'etre satisfait, ou tout au moins de le
paraitre. Monck, tout aussi affame que ses gens, mais affectant la
plus parfaite indifference pour ce mouton absent, coupa un
fragment de tabac, long d'un demi-pouce, a la carotte d'un sergent
qui faisait partie de sa suite, et commenca a mastiquer le susdit
fragment en assurant a ses lieutenants que la faim etait une
chimere, et que d'ailleurs on n'avait jamais faim tant qu'on avait
quelque chose a mettre sous sa dent. Cette plaisanterie satisfit
quelques-uns de ceux qui avaient resiste a la premiere deduction
que Monck avait tiree du voisinage de Lambert; le nombre des
recalcitrants diminua donc d'autant; la garde s'installa, les
patrouilles commencerent, et le general continua son frugal repas
sous sa tente ouverte.
Entre son camp et celui de l'ennemi s'elevait une vieille abbaye
dont il reste a peine quelques ruines aujourd'hui, mais qui alors
etait debout et qu'on appelait l'abbaye de Newcastle. Elle etait
batie sur un vaste terrain independant a la fois de la plaine et
de la riviere, parce qu'il etait presque un marais alimente par
des sources et entretenu par les pluies. Cependant, au milieu des
ces flaques d'eau couvertes de grandes herbes, de joncs et de
roseaux, on voyait s'avancer des terrains solides consacres
autrefois au potager, a
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