tectes y avaient mis en le construisant. Mais
tout passe, la richesse comme le reste, et le dernier seigneur de
Chateaubrun vient de racheter pour quatre mille francs le chateau de ses
peres.
--Est-il possible qu'une telle masse de pierres, meme dans l'etat ou elle
se trouve, ait aussi peu de valeur?
--Ce qui reste la vaudrait encore beaucoup, si on pouvait l'oter et le
transporter; mais ou trouver dans le pays d'ici des ouvriers et des
machines capables de jeter bas ces vieux murs? Je ne sais pas avec quoi
l'on batissait dans l'ancien temps, mais ce ciment-la est si bien lie,
qu'on dirait que les tours et les grands murs sont faits d'une seule
pierre. Et puis, vous voyez comme ce batiment est plante sur la pointe
d'une montagne, avec des precipices de tous cotes! Quelles voitures et
quels chevaux pourraient charrier de pareils materiaux? A moins que la
colline ne s'ecroule, ils resteront la aussi longtemps que le rocher qui
les porte, et il y a encore assez de voutes pour mettre a l'abri un pauvre
monsieur et une pauvre demoiselle.
--Ce dernier des Chateaubrun a donc une fille? demanda le jeune homme en
s'arretant pour regarder le manoir avec plus d'interet qu'il n'avait encore
fait. Et elle demeure la?
--Oui, oui, elle demeure la, au milieu des gerfauts et des chouettes, et
elle n'en est pas moins jeune et jolie. L'air et l'eau ne manquent pas ici,
et malgre les nouvelles lois contre la liberte de la chasse, on voit encore
quelquefois des lievres et des perdrix sur la table du seigneur de
Chateaubrun. Allons, si vous n'avez pas des affaires qui vous obligent de
risquer votre vie pour arriver avant le jour, venez avec moi, je me charge
de vous faire bien accueillir au chateau. Et quand meme vous y arriveriez
seul et sans recommandation, il suffit que la nuit soit mauvaise, et que
vous ayez la figure d'un chretien, pour que vous soyez bien recu et bien
traite chez M. Antoine de Chateaubrun.
--Ce gentilhomme est pauvre, a ce qu'il parait, et je me ferais scrupule
d'user de sa bonte d'ame.
--Vous lui ferez plaisir, au contraire. Allons, vous voyez bien que l'orage
va recommencer plus fort que tout a l'heure, et je n'aurais pas la
conscience en repos si je vous laissais ainsi tout seul dans la montagne.
Voyez-vous, il ne faut pas m'en vouloir pour vous avoir refuse mes
services: j'ai mes raisons, que vous ne pouvez pas juger, et que je n'ai
pas besoin de dire; mais je dormirai plus tranquille si vous suivez mon
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