luxe comme une perle fine dans la nacre de sa coquille.
Felicia, qui decidement ce soir-la voulait plaire a tout le monde, la
mit doucement sur le chapitre des souvenirs, lui fit raconter une fois
de plus ses grands triomphes de _Giselle_, de la _Peri_, et les ovations
du public, la visite des princes dans sa loge, le cadeau de la reine
Amelie accompagne de si charmantes paroles. Ces gloires evoquees
grisaient la pauvre fee, ses yeux brillaient, on entendait ses petits
pieds fretiller sous la table comme pris d'une frenesie dansante... En
effet, le diner fini, quand on fut retourne dans l'atelier, Constance
commenca a marcher de long en large, a esquisser un pas, une pirouette,
tout en continuant de causer, s'interrompant pour fredonner un air de
ballet qu'elle rhythmait d'un mouvement de la tete, puis, tout a coup,
se replia sur elle-meme et d'un bond fut a l'autre bout de l'atelier.
"La voila partie, dit Felicia tout bas a de Gery... Regardez. Cela en
vaut la peine, vous allez voir danser la Crenmitz."
C'etait charmant et feerique. Sur le fond de l'immense piece noyee
d'ombre et ne recevant presque de clarte que par le vitrage arrondi ou
la lune montait dans un ciel lave, bleu de nuit, un vrai ciel d'opera,
la silhouette de la celebre danseuse se detachait toute blanche, comme
une petite ombre falote, legere, imponderee, volant bien plus qu'elle
ne bondissait; puis debout sur ses pointes fines, soutenue dans l'air
seulement par ses bras etendus, le visage leve dans une attitude fuyante
ou rien n'etait visible que le sourire, elle s'avancait vivement vers la
lumiere ou s'eloignait en petites saccades si rapides qu'on s'attendait
toujours a entendre un leger bruit de vitres et a la voir monter ainsi a
reculons la pente du grand rayon de lune jete en biais dans l'atelier.
Ce qui ajoutait un charme, une poesie singuliere a ce ballet
fantastique, c'etait l'absence de musique, le seul bruit du rhythme dont
la demi-obscurite accentuait la puissance, de ce taquete vif et leger,
pas plus fort sur le parquet que la chute, petale par petale, d'un
dahlia qui se defeuille... Cela dura ainsi quelques minutes, puis on
entendit a son souffle plus court qu'elle se fatiguait.
"Assez, assez... Assieds-toi, dit Felicia."
Alors la petite ombre blanche s'arreta au bord d'un fauteuil, et resta
la posee, prete a repartir, souriante et haletante, jusqu'a ce que
le sommeil la prit, se mit a la bercer, a la balancer doucement sans
deran
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