ons vous agreeront, puisque vous n'avez
pour le moment d'autre maitre que Dieu, dit en riant le Gascon.
-- C'est possible.
-- Avez-vous, mon cher Aramis, songe quelquefois a ces beaux jours
de notre jeunesse que nous passions riant, buvant ou nous battant?
-- Oui, certes, et plus d'une fois je les ai regrettes. C'etait un
heureux temps, _delectabile tempus!_
-- Eh bien, mon cher, ces beaux jours peuvent renaitre, cet
heureux temps peut revenir! J'ai recu mission d'aller trouver mes
compagnons, et j'ai voulu commencer par vous, qui etiez l'ame de
notre association.
Aramis s'inclina plus poliment qu'affectueusement.
-- Me remettre dans la politique! dit-il d'une voix mourante et en
se renversant sur son fauteuil. Ah! cher d'Artagnan, voyez comme
je vis regulierement et a l'aise. Nous avons essuye l'ingratitude
des grands, vous le savez!
-- C'est vrai, dit d'Artagnan; mais peut-etre les grands se
repentent-ils d'avoir ete ingrats.
-- En ce cas, dit Aramis, ce serait autre chose. Voyons! a tout
peche misericorde. D'ailleurs, vous avez raison sur un point:
c'est que si l'envie nous reprenait de nous meler des affaires
Etat, le moment, je crois, serait venu.
-- Comment savez-vous cela, vous qui ne vous occupez pas de
politique?
-- Eh! mon Dieu! sans m'en occuper personnellement, je vis dans un
monde ou l'on s'en occupe. Tout en cultivant la poesie, tout en
faisant l'amour, je me suis lie avec M. Sarazin, qui est a
M. de Conti; avec M. Voiture qui est au coadjuteur, et avec
M. de Bois-Robert, qui, depuis qu'il n'est plus a M. le cardinal
de Richelieu, n'est a personne ou est a tout le monde, comme vous
voudrez; en sorte que le mouvement politique ne m'a pas tout a
fait echappe.
-- Je m'en doutais, dit d'Artagnan.
-- Au reste, mon cher, ne prenez tout ce que je vais vous dire que
pour parole de cenobite, d'homme qui parle comme un echo, en
repetant purement et simplement ce qu'il a entendu dire, reprit
Aramis. J'ai entendu dire que dans ce moment-ci le cardinal
Mazarin etait fort inquiet de la maniere dont marchaient les
choses. Il parait qu'on n'a pas pour ses commandements tout le
respect qu'on avait autrefois pour ceux de notre ancien
epouvantail, le feu cardinal, dont vous voyez ici le portrait;
car, quoi qu'on en ait dit, il faut convenir, mon cher, que
c'etait un grand homme.
-- Je ne vous contredirai pas la-dessus, mon cher Aramis, c'est
lui qui m'a fait lieutenant.
-- Ma premiere opin
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