ages, il
les enlevait, les excitait jusqu'au delire ou les calmait jusqu'a
l'abattement, au gre de son inspiration. Il les soumettait ainsi au
scenario, car la pantomime dont il etait le plus souvent l'auteur, avait
toujours une action bien nettement developpee et suivie.
D'autres fois, nous tentions un opera comique, et il nous arriva
d'improviser des airs, meme des choeurs, qui le croirait? ou l'ensemble
ne manqua pas, et ou diverses reminiscences d'operas connus se lierent
par des modulations individuelles promptement conquises et saisies de
tous. Il nous prenait parfois fantaisie de jouer de memoire une piece
dont nous n'avions pas le texte et que nous nous rappelions assez
confusement. Ces souvenirs indecis avaient leur charme, et, pour les
enfants qui ne connaissaient pas ces pieces, elles avaient l'attrait de
la creation. Ils les concevaient, sur un simple expose preliminaire,
autrement que nous, et nous etions tout ravis de leur voir trouver
d'inspiration des caracteres nouveaux et des scenes meilleures que
celles du texte.
Nous avions encore la ressource de faire de bonnes pieces avec de fort
mauvaises. Boccaferri excellait a ce genre de decouvertes. Il fouillait
dans sa bibliotheque theatrale, et trouvait un sujet heureux a exploiter
dans une vieillerie mal concue et mal executee.
--Il n'est si mauvaise oeuvre tombee a plat, disait-il, ou l'on ne
trouve une idee, un caractere ou une scene dont on peut tirer un bon
parti. Au theatre, j'ai entendu siffler cent ouvrages qui eussent ete
applaudis, si un homme intelligent eut traite le meme sujet. Fouillons
donc toujours, ne doutons de rien, et soyez surs que nous pourrions
aller ainsi pendant dix ans et trouver tout les soirs matiere a inventer
et a developper.
Cette vie fut charmante et nous passionna tous a tel point, que cela
eut semble pueril et quasi insense a tout autre qu'a nous. Nous ne nous
blasions point sur notre plaisir, parce que la matinee entiere etait
donnee a un travail plus serieux. Je faisais de la peinture avec Stella;
le marquis et sa fille remplissaient assidument les devoirs qu'ils
s'etaient imposes; Celio faisait l'education litteraire et musicale de
son jeune frere et de _notre_ petite soeur Beatrice, a laquelle aussi on
me permettait de donner quelques lecons. L'heure de la comedie arrivait
donc comme une recreation toujours meritee et toujours nouvelle. La
_porte d'ivoire_ s'ouvrait toujours comme le sanctuaire de nos plus
chere
|