hal, on n'est plus heureux a notre age,"
disait Louis XIV a l'un de ses generaux vaincus... Louis XIV et le
marechal de Villeroi en parlaient bien a leur aise; ils avaient la
gloire ancienne en consolation de la defaite presente; mais les jeunes
gens, les nouveaux-nes, appeles les derniers a la gloire, ou donc etait
leur consolation de n'arriver qu'a la defaite?
En ces tristes pensees vivait depuis longtemps le comte de Silly. Il
avait beau payer de sa personne, etre au premier rang des combattants,
pousser le soldat aux ennemis, appeler de toute sa voix la victoire a
son aide... il y avait toujours un moment ou il fallait ceder, reculer,
repasser le fosse, incendier la ville assiegee et sortir la nuit aux
petillements de ces clartes funebres. Que disons-nous? et ce moment
funeste ou le plus vaillant rend son epee, et ces longs sentiers par
lesquels il faut passer, conduit par la cohorte ennemie; et ces femmes,
ces enfants, ces vieillards, parmi les victorieux, qui disent, vous
designant d'un doigt meprisant: Voila des vaincus, des prisonniers!
C'etaient la des angoisses insupportables, et M. de Silly, porteur d'une
epee qui ne lui appartenait plus, rentra chez lui triste, abattu, la
tete courbee, imposant silence aux cris de joie. Il baisa la main de
sa mere sans mot dire, et dans les bras de son pere il pleura. Le pere
aussi pleurait la gloire passee; il avait, par pitie pour son fils,
detacha de sa poitrine sa croix de Saint-Louis.
Ce retour, qu'elles s'etaient figure superbe et triomphant, avait frappe
de stupeur les deux jeunes filles, et, chose encore plus etrange (elles
etaient a peu pres du meme age, de la meme taille, et les traits de Mlle
de Silly avaient un peu grossi), le jeune colonel prit Elisa pour sa
soeur, et sa soeur pour l'etrangere. Il embrassa tendrement la premiere,
il salua poliment la seconde, et ne voyant pas que celle-ci rougissait,
que celle-la restait interdite, il s'enferma dans un cabinet plein de
livres, ou il se tenait chaque jour, triste et silencieux, lisant les
guerres de Thucydide, les _Commentaires_ de Cesar ou les livres de
Polybe. Il etudiait aussi les grands capitaines; a chaque bataille
gagnee il poussait un profond soupir.
C'est ainsi qu'il menait une vie austere et serieuse au milieu de ses
livres, cherchant la solitude, le visage couvert d'une sombre tristesse.
Etonnees et bientot fachees de son indifference, les deux jeunes filles
en murmurerent chacune de son cote; bien
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