es amis que de leurs sentiments pour elle;
indulgente quand ils ne font que lui manquer, pourvu qu'ils ne se
manquent pas a eux-memes."
Certes, le portrait n'est pas flatte, mais il est simple et vrai; il
nous montre en tout son jour cette personne adroite et droite qui s'est
trouvee melee a de grands evenements qu'elle a domines de la hauteur de
son courage et de la sagacite de son esprit. Par un bonheur inespere,
le succes de la vie et des Memoires de Mme de Staal et le renom de
bel esprit qu'elle a laisse l'ont fait confondre, a cinquante ans de
distance, avec un des plus grands genies du commencement de l'empire,
Mme la baronne de Stael, l'illustre auteur de _Corinne_ et des
_Considerations sur la Revolution francaise_. Heureuse confusion; elle
ne saurait attenter a la gloire de Mme de Stael; elle jette une clarte
tres grande et tres heureuse sur le souvenir de Mme de Staal, qui s'en
va s'amoindrissant et s'effacant toujours.
ZEMIRE
Au bout du pont Royal, sur le quai d'Orsay, non loin de l'ancien hotel
de MM. les gardes du corps du roi, un cafe de serieuse apparence est
rempli tout le jour d'une foule d'honnetes gens qui viennent prendre en
ce lieu leur repas du matin et leur repas du soir. On y parle a voix
basse, et, si parfois quelque etranger s'egare en ces salons bien
hantes, il prend soudain le diapason des habitues du cafe de la rue du
Bac; si bien que les femmes les plus distinguees ne redoutent pas d'y
venir, en compagnie de leur frere ou de leur mari.
Un beau jour du mois de juin (il avait plu dans la matinee et le pave
etait encore humide), un carrosse a l'ancienne marque, sorti des
ateliers d'Erlher, et conduit par un cocher aux cheveux blancs, deposa
sur le seuil du cafe une venerable dame du faubourg Saint-Germain,
accompagnee de sa niece, une personne serieuse, qui avait deja depasse
la vingtieme annee. Elle-meme, la niece, avait pour chaperon, mieux
qu'une servante, une amie, uns soeur de lait. Celle-ci s'appelait
Mariette; elle avait dix ans de plus que sa compagne; elles se
tutoyaient l'une et l'autre, avec une certaine deference du cote de
Mariette. Elle etait vetue en paysanne cossue; a sa tete le vaste bonnet
normand ourle de dentelles, a son cou la croix martelee a Fecamp par les
anciens orfevres de l'antique province. Autant la demoiselle etait frele
et d'une apparence chetive, autant la Mariette etait d'une opulente
et vivace sante. Rien ne genait son beau rire et son grand ar
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