ecompense dans leur devouement meme. Elle avait rapporte de la Bastille
du linge et des robes en mechant etat, sa princesse ne songea point a
remplacer ces nippes usees dans la prison. Desormais Mlle de Launay
comprit qu'elle ne devait rien attendre que d'elle-meme, et, bien
decidee a sortir de cette captivite deguisee, elle s'en fut visiter ses
amis de Paris, et entre autres M. de Chaulieu, qui logeait au Temple, et
M. Dacier, qui habitait dans un des galetas du Louvre. Helas! l'aimable
poete, ami des doctes soeurs, M. de Chaulieu, dont les douces chansons
avaient ete le charme et la gaiete de tout un monde evanoui, Mlle de
Launay rencontra son cercueil, comme on le portait dans les caveaux des
anciens chevaliers du Temple.
Quand elle eut prie pour M. de Chaulieu, ce fidele ami de sa jeunesse,
qui lui etait reste fidele meme aux heures sombres de la Bastille, elle
s'en fut chez M. Dacier... Il avait perdu dans l'intervalle l'illustre
et vaillante epouse dont le nom est reste parmi les gloires supremes du
siecle agonisant de Louis XIV, Mme Dacier! un eloquent et rare esprit,
ami des chefs-d'oeuvre, interprete fidele de l'antiquite. Fille
d'Homere, elle avait traduit de la plus digne facon l'_Iliade_ et
l'_Odyssee_, et sa traduction sans rivale n'a pas ete depassee. Elle a
traduit des Latins, Plaute et Terence, et si M. Dacier a mis son nom
a la traduction d'Horace, il y fut grandement aide par cette compagne
active de ses travaux.
Malgre sa douleur profonde, et tout penetre de la perte irreparable
qu'il avait faite, il advint que M. Dacier trouva dans Mlle de Launay
tant de grace et de bel esprit, et je ne sais quoi de si voisin de
la femme qu'il avait perdue, qu'il envoya M. de Valincourt, leur ami
commun, demander a _cette fille parfaite_, c'est ainsi qu'il l'appelait,
l'honneur de son alliance. Il appartenait aux deux Academies; il etait
celebre et fort riche et jeune encore; et Mlle de Launay, que la prison
avait faite serieuse, a qui le malheur avait enseigne la prudence et la
resignation, accepta la main qui lui etait offerte. Elle mit cependant
une condition a ce mariage, a savoir le consentement de Mme la duchesse
du Maine, esperant que la princesse n'y trouverait aucun obstacle. Elle
comptait qu'elle ne serait pas refusee, elle comptait mal.
A la premiere ouverture qu'on lui fit de ce mariage, la princesse, hors
d'elle-meme, se recrie; elle ne saurait se passer, disait-elle, des
soins et des services de sa
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