e sentait deja moins seul et moins perdu dans cette illustre cite,
ou l'eglise et la magistrature, la science et le droit avaient pose
leurs tabernacles.
Ils arriverent ainsi a la porte de la caserne ou les attendait
l'etat-major du regiment.
--Soyez le bienvenu, commandant, disait le colonel, mais vous avez
diablement tarde! nous sommes ici depuis quinze jours.
Ce colonel n'etait pas un mechant homme; il etait un officier de
fortune. Il n'avait pas trouve d'obstacle en son chemin: tout lui avait
reussi, et surtout la faveur des inspecteurs generaux, pas un de ces
messieurs ne voulant deranger un contentement si parfait. Il faut dire
aussi que ce colonel trop heureux etait plus jeune de dix annees que
le commandant Martin. Il n'avait pas dans tout son corps une seule
blessure; il se portait a merveille, et M. son pere lui faisait une
haute paye de deux cents louis, ce qui represente une grosse somme au
regiment le mieux tenu. Quand toutes les formalites furent accomplies,
chaque homme a sa place et le cheval a la provende, les officiers de
tout le regiment dinerent ensemble, et les premiers arrives porterent la
sante des nouveaux venus.
--Nous voila bien loin de Paris, disait le lieutenant Charlier, et Dieu
sait quand nous dejeunerons au cafe de la rue du Bac.
Alors chacun raconta son histoire, et, chose etrange, le commandant
Martin, le seul homme qui eut une histoire a raconter, ne la raconta
pas.
La fin de la soiree fut consacree aux principaux fonctionnaires, non
moins qu'aux plus belles personnes de la ville de Caen. M. le premier
president d'Orival et Mme Morton, la jeune femme de l'avocat general,
furent cites pour leur hospitalite genereuse. Plusieurs jeunes gens,
d'une seule epaulette, plus redoutable que les epaulettes etoilees,
proclamerent le nom des belles danseuses: Mlle Sophie et Mlle Marie,
enfants de l'Hotel de ville, et la belle entre les belles, Mlle Amelie
avec sa soeur Aurore.
--Quant a moi, disait un sous-officier de la veille, je ne trouve rien
de plus charmant que Mlle Mariette, l'honneur et la grace de la maison
du general de Beaulieu.
Et la conversation s'empara du general; les uns disaient que c'etait
l'un de nos meilleurs officiers generaux, les autres affirmaient qu'il
etait dur et sans pitie.
--Il n'est pas juste.
--Il n'a fait de bien a personne.
--Il a brise les plus belles carrieres, disaient ceux-ci.
--Au contraire, affirmaient ceux-la, le general de Beaulieu
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