ou gouvernante de quelque jeune enfant.
La bonne Mme de La Croisette, qui naturellement etait tournee du cote de
l'esprit (une habitude qu'elle avait prise dans les salons de l'hotel de
Soissons), apres avoir bien cherche a qui donc elle pouvait adresser
sa protegee inconnue, imagina de la recommander au plus rare et plus
charmant esprit parmi les survivants du dix-septieme siecle, a M. de
Fontenelle.
Il etait, certes, de bonne race, et bien fait pour accorder une
protection honorable, etant le propre neveu du grand Corneille, et, par
la moderation de sa vie et la grace de son discours, l'ecrivain le plus
accompli de cet age intermediaire entre les chefs-d'oeuvre anciens et
les efforts tout nouveaux de l'esprit. Il etait la prudence en personne
et la sagesse meme; un peu trop sage, il disait que si sa main droite
etait remplie de verites, il n'ouvrirait pas sa main droite. Ajoutez
qu'il etait affable et bienveillant, estimant les hommes, et cependant
les connaissant et les voyant tels qu'ils sont. Il n'aimait que la bonne
compagnie; il lui appartenait tout entier: il en savait la langue, il
en connaissait les usages. De toutes les grandes maisons, il savait les
alliances, les parentes, les amities meme les plus lointaines; ainsi,
quand il parlait dans un salon, au milieu de l'attention universelle, il
etait sur de ne blesser personne.
Il marchait, a pas lents et prudents, sur le chemin de la vieillesse et
ne semblait pas la redouter. Cet homme est un des grands exemples de
la force et de l'autorite du bel esprit. Il ne heurtait personne; au
contraire, il se derangeait volontiers pour faire place aux plus presses
d'arriver, et l'on ne comprenait guere comment il faisait pour arriver
toujours le premier. Il avait un doux rire, une voix claire ou vibrait
une douce ironie. Il etait tres savant, tres intelligent, tres cache. Ne
l'abordait pas qui voulait. Les ambitieux lui faisaient peine, et les
avares lui faisaient peur; les malhonnetes gens lui faisaient pitie.
Avec cela, un grand soin de sa personne, un grand respect de soi-meme,
et le plus profond mepris pour l'injure et le mensonge. Il mourut
presque centenaire.
Apres sa mort, on trouva dans les greniers du Palais-Royal, qu'il
habitait, quatre ou cinq caisses enormes toutes remplies de brochures,
pamphlets, journaux, _nouvelles a la main_, et des milliers de feuilles
que l'on avait ecrites pour le chagriner et dont il n'avait pas ouvert
une seule. Il regnait s
|