ur ce beau visage une empreinte ineffacable. Evidemment cette humble
femme etait au bout de ses forces et ne pouvait aller plus loin. Elle
tenait de ses mains nues et pressait sur son coeur resigne une enfant
pale et frele, une petite fille affamee et dont les grands yeux,
brillant du triste eclat de la fievre, imploraient a travers la porte
fermee une protection invisible. Apres un instant d'attente, et sans que
la mere, ici presente, eut ose faire un appel a cette charitable maison,
la porte s'ouvrit comme par miracle, et deux soeurs du Saint-Sauveur
vinrent a la femme abandonnee, et, l'encourageant de la voix et du
geste, celle-ci prit l'enfant dans ses bras, celle-la conduisit la mere
au refectoire, ou se reunissaient toutes les soeurs pour le repas du
soir. La salle etait tiede et bien close; au coin du feu petillant dans
l'atre etait le fauteuil de Mme l'abbesse. On y fit asseoir la pauvre
voyageuse; empressees autour de cette misere touchante, les bonnes
soeurs lui prodiguerent tous les services; elles laverent ses pieds
ensanglantes sur les paves du chemin; elles presenterent a cette
abandonnee la coupe ou buvait Mme de La Rochefoucauld elle-meme, et
pendant que la douce couleur revenait a cette joue ou tant de larmes
avaient coule, la petite fille, debarrassee enfin de ses haillons, se
rejouissait dans des linges blancs et chauds. Prenez et mangez! Puis
la mere et l'enfant furent conduites a l'infirmerie, et s'endormirent
paisibles dans un lit, dont elles etaient privees depuis huit jours.
Le lendemain, a leur reveil, leur premier regard rencontra les
yeux tendres et serieux tout ensemble de cette illustre dame de La
Rochefoucauld. De sa voix, faite aussi bien pour la priere que pour le
commandement, elle encouragea la mere a lui raconter par quelle suite de
miseres elle etait arrivee a ce denuement si triste et si complet. La
mere alors repondit qu'elle avait epouse naguere un gentilhomme, un
pauvre Irlandais de la catholique Irlande, qui l'avait emmenee avec lui
dans une cabane ou, pendant quatre annees, ils avaient eu grand'peine a
vivre. Il y avait deux ans deja que la petite fille etait au monde, et
Dieu sait qu'ils avaient grand espoir de l'elever; mais la famine avait
envahi toute la contree, et la peste avait emporte le mari; les hommes
du fisc etaient venus qui avaient vendu la cabane et le champ de ble;
puis la charite publique, disons mieux, la prudence irlandaise, habile a
se defaire des pauvres gen
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