t larges culottes, une
longue et flexible baguette a la main, fendent la foule, qui se
range a leurs cris. Des femmes du peuple se faufilent dans la cohue,
un enfant a califourchon sur l'epaule. Un bataillon de soldats
indigenes, musique en tete, se hate vers la plaine d'exercice. Voici
un charmeur de serpents, debraille et loqueteux. Les badauds font
cercle autour de lui. De la musette qu'il porte en bandouliere, il
extrait deux viperes, une salamandre, un scorpion; il les pose
doucement sur le trottoir, et la representation commence. Les
viperes se dressent en sifflant, la salamandre sautille, le scorpion
s'etire sous la caresse du soleil; le montreur, de la voix et du
geste, excite sa menagerie. La scene dure trois minutes. Sur un mot
du chawich, l'homme a rengaine ses betes, et les pieces de nickel
tombent, de la terrasse, dans son bonnet crasseux. Nous goutons un
vrai plaisir d'enfant devant la lanterne magique.
Pour voir les indigenes chez eux, pour saisir sur le vif la vieille
ville et sa plebe, immuable comme elle, il faut tourner le dos aux
grandes et banales batisses du quartier europeen et gagner la
"Mouski", artere principale du quartier indigene, canal autour
duquel s'embrouille un reseau de mille ruelles etroites. Les
voitures y fendent, au grand trot, du matin au soir, le flot presse
et plein de remous d'une foule coloree et bruyante. Elles n'ecrasent
personne cependant. Il est vrai que les cochers n'epargnent pas les
discours. "Passant, prends garde a ton flanc, tu vas rouler sous les
roues de ma voiture ... Jeune fille, fais attention; tu es peut-etre
fiancee; si mes chevaux t'ecrasaient, quel malheur, quelle
desolation"!... Tout cela en arabe, naturellement. Les interjections
des cochers bruxellois sont moins douces a l'oreille ...
Aux carrefours, la cohue defie toute description. Chevaux
galopants; haquets charges de briques; longues et plates charrettes
ou se tiennent accroupies dix ou douze femmes voilees, silencieuses,
des enfants dans les bras; anes charges de fardeaux; mendiants,
camelots, chiens errants et marmaille: tout cela court, se mele,
bourdonne, hurle, glapit. Je me souviens d'avoir attendu cinq
minutes, a un tournant de mon chemin, avant de pouvoir traverser
cette mer.
Les ruelles, a droite et a gauche, sont a peine plus larges que
notre rue d'Une-Personne. Vous ne feriez pas cinquante pas, sans
guide, dans ce labyrinthe obscur, avant d'etre perdu. Si l'on avait
le temps, on s'a
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