s le soupconnez de toucher le denier a
Dieu sur chacune de vos empietes. Vous ne serez vole qu'une seule
fois, et en bloc. Abd-el-Rahim nous detourne, en clignant de l'oeil,
des boutiquiers qui n'ont pas sa confiance.
Les bazars du Caire regorgent de merveilles; de camelote aussi.
Maints fabricants autrichiens ou allemands y ecoulent leurs cuivres
dits arabes et leurs bijoux orientaux, qui se vendent deux fois plus
cher, naturellement, que dans les boutiques de Berlin ou de Vienne.
Mais il n'en faut pas davantage pour garantir, aux yeux des snobs,
leur authenticite. A cote de ces attrape-nigauds, d'admirables
specimens des vieilles industries de l'Orient: images byzantines,
ciselures de Damas, emaux persans, tapis de laine et de soie, a
quatre mille francs piece--et qui les valent,--nous retiennent et
nous charment, des heures durant, par l'eclat et l'harmonie des
couleurs ou l'originalite du dessin.
La chaleur du jour commence a s'apaiser; la flamme des lanternes
tremblote aux carrefours; les ombres des passants dansent sur les
murailles; notre promenade s'acheve dans un decor fantastique et
lugubre. "Maudite soit votre religion", marmotte, entre ses dents,
un loqueteux qui nous croise. C'est la supreme injure. Partons avant
la nuit; allons revoir les lumieres et l'animation de l'Ezbekieh.
La Mouski mene aux tombeaux des Khalifes, ou j'ai ete deux fois, de
jour d'abord, pour jouir pleinement de la beaute de Quait bai,
charmante mosquee du XVIe siecle, vrai bijou de pierre dentelee,
chef-d'oeuvre de hardiesse et de grace. Le minaret monte comme une
fleche dans l'air pur. La coupole semble un miracle d'equilibre. Le
plafond, en bois sculpte et peint, flatte et caresse les yeux. Une
douce lumiere tombe des petites fenetres. Impossible de rever, pour
les fleurs des vitraux, des couleurs plus franches, plus discretes
et plus pures. Sous le porche, pendant que le gardien nous aide a
chausser les babouches, un vieil indigene offre sa tete au rasoir
d'un barbier. Des vautours, au-dessus de la colline proche,
tournoient dans l'azur. La nappe rose du desert fuit a cent pas de
nous.
Nous y sommes retournes le soir, bien que l'endroit passe pour etre
peu sur. Julius en etait. J'entends encore l'explosion de sa joie.
Au sortir de la Mouski illuminee et bruyante, la voiture venait
d'entrer dans le silence et l'ombre de la necropole abandonnee. "Nom
d'un ... chien, dit Julius en flamand; comme c'est beau!" Quelle
nuit, quel
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