, il est bien juste que nous vous
tourmentions le moins possible, que nous respections votre sommeil.
Le general: "Laissez donc! je ne veux pas de tout cela, moi. Jacques,
pourquoi empechais-tu ton frere de parler?"
Jacques: "General, parce que j'avais peur que vous ne vous missiez en
colere. Paul est petit, il a peur quand vous vous fachez; il oublie
alors que vous etes bon; et, comme en voiture il ne peut pas se sauver
ou se cacher, il me fait trop pitie."
Le general devenait fort rouge; ses veines se gonflaient, ses yeux
brillaient; Mme Derigny s'attendait a une explosion terrible, lorsque
Paul, qui le regardait avec inquietude, lui dit en joignant les mains:
"Monsieur le general, je vous en prie, ne soyez pas rouge, ne mettez
pas de flammes dans vos yeux: ca fait si peur! C'est que c'est tres
dangereux, un homme en colere: il crie, il bat, il jure. Vous vous
rappelez quand vous avez tant battu Torchonnet? Apres, vous etiez bien
honteux. Voulez-vous qu'on vous donne quelque chose pour vous amuser?
Une tranche de jambon, ou un pate, ou du malaga? Papa en a plein les
poches du siege."
A mesure que Paul parlait, le general redevenait calme; il finit par
sourire et meme par rire de bon coeur. Il prit Paul, l'embrassa, lui
passa amicalement la main sur la tete. "Pauvre petit! c'est qu'il a
raison. Oui, mon ami, tu dis vrai; je ne veux plus me mettre en colere:
c'est trop vilain.
--Que je suis content! s'ecria Paul. Est-ce pour tout de bon ce que
vous dites? Il ne faudra donc plus avoir peur de vous! On pourra rire,
causer, remuer les jambes?
Le general: "Oui, mon garcon; mais quand tu m'ennuieras trop, tu iras
sur le siege avec ton papa."
Paul: "Merci, general; c'est tres bon a vous de dire cela. Je n'ai plus
peur du tout."
Le general: "Nous voila tous contents alors. Seulement, ce qui m'ennuie,
c'est que nous allions si doucement."
--He! Derigny, mon ami, faites donc marcher ces izvochtchiks; nous
avancons comme des tortues.
Derigny: "Mon general, je le dis bien; mais ils ne me comprennent pas."
Le general: "Sac a papier! ces droles-la! Dites-leur dourak, skatina,
skarei!"
Derigny repeta avec force les paroles russes du general; le cocher le
regarda avec surprise, leva son chapeau, et fouetta ses chevaux, qui
partirent au grand galop. Skarei! Skarei! repetait Derigny quand les
chevaux ralentissaient leur trot.
Le general se frottait les mains et riait. Avec la bonne humeur revint
l'appeti
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