Ce qui signifie?...
-- Que, si je vous rends votre place sur le trone de votre frere,
votre frere prendra la votre dans votre prison.
-- Helas! on souffre bien en prison! surtout quand on a bu si
largement a la coupe de la vie!
-- Votre Altesse Royale sera toujours libre de faire ce qu'elle
voudra: elle pardonnera, si bon lui semble, apres avoir puni.
-- Bien. Et maintenant, savez-vous une chose, monsieur?
-- Dites, mon prince.
-- C'est que je n'ecouterai plus rien de vous que hors de la
Bastille.
-- J'allais dire a Votre Altesse Royale que je n'aurai plus
l'honneur de la voir qu'une fois.
-- Quand cela?
-- Le jour ou mon prince sortira de ces murailles noires.
-- Dieu vous entende! Comment me previendrez-vous?
-- En venant ici vous chercher.
-- Vous-meme?
-- Mon prince, ne quittez cette chambre qu'avec moi, ou, si l'on
vous contraint en mon absence, rappelez-vous que ce ne sera pas de
ma part.
-- Ainsi, pas un mot a qui que ce soit, si ce n'est a vous?
-- Si ce n'est a moi.
Aramis s'inclina profondement. Le prince lui tendit la main.
-- Monsieur, dit-il avec un accent qui jaillissait du coeur, j'ai
un dernier mot a vous dire. Si vous vous etes adresse a moi pour
me perdre, si vous n'avez ete qu'un instrument aux mains de mes
ennemis, si de notre conference, dans laquelle vous avez sonde mon
coeur il resulte pour moi quelque chose de pire que la captivite,
c'est-a-dire la mort, eh bien! soyez beni, car vous aurez termine
mes peines et fait succeder le calme aux fievreuses tortures dont
je suis devore depuis huit ans.
-- Monseigneur, attendez pour me juger, dit Aramis.
-- J'ai dit que je vous benissais et que je vous pardonnais. Si,
au contraire, vous etes venu pour me rendre la place que Dieu
m'avait destinee au soleil de la fortune et de la gloire, si,
grace a vous, je puis vivre dans la memoire des hommes, et faire
honneur a ma race par quelques faits illustres ou quelques
services rendus a mes peuples, si, du dernier rang ou je languis,
je m'eleve au faite des honneurs, soutenu par votre main
genereuse, eh bien! a vous que je benis et que je remercie, a vous
la moitie de ma puissance et de ma gloire! Vous serez encore trop
peu paye; votre part sera toujours incomplete, car jamais je ne
reussirai a partager avec vous tout ce bonheur que vous m'aurez
donne.
-- Monseigneur, dit Aramis emu de la paleur et de l'elan du jeune
homme, votre noblesse de coeur me penetre de joi
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