secourir Mademoiselle?
--Oui, il vous a dit: "Vous n'etes qu'une folle, allez-vous-en!"
--C'est bon, c'est bon, madame Remy, les mots ne sont rien, mais le
regard, mais le dedain! Qu'est-ce que vous feriez a ma place? Je ne puis
plus rester dans la maison. On me meprise.
--Patience, ma belle enfant, dit Mme Remy; dans la vie il y a des bons
et des mauvais jours; il faut jouir des uns et oublier les autres.
Que voulez-vous? les riches sont comme tous les hommes, ils ont leurs
fantaisies; il faut etre indulgent avec eux. On n'est pas domestique
pour ne rien passer a son maitre. Il faut lui pardonner quelque chose.
Qui est-ce qui est parfait?
--Vous avez raison, madame Remy; mais cependant Monsieur devrait avoir
plus de respect pour moi devant le monde, et Mademoiselle, en montant
la-haut, aurait bien du sentir qu'apres ce qui s'est passe elle me
compromettait.
[Illustration]
--Sans doute, mademoiselle Rose, sans doute; mais, voyez-vous, la
richesse gate les hommes. Moi qui vous parle, et qui n'etais pas nee
pour etre concierge, mon pere etait un gros fermier, vous savez? eh
bien! je sens que si j'etais riche, j'aurais aussi mes fantaisies. Il me
faudrait tous les jours une oie rotie et la soupe aux choux; c'est une
faiblesse, je le sais, mais je la contenterais.
--Ah! si j'etais riche, s'ecria Rose, ce n'est pas moi qui ferais comme
Mademoiselle: au lieu de m'habiller comme une soeur du pot, j'aurais des
dentelles a mon bonnet, a mon mouchoir, a mon tablier; parce que, moi,
j'ai l'ame grande, et je ne sais pas m'encanailler!
--Chacun son idee, reprit la portiere, c'est ce que je vous disais.
Calmez-vous! Mademoiselle vous fera quelque cadeau, suivant son
habitude; il faut l'excuser aujourd'hui; et, comme dit le proverbe:
"Traite-toi comme tu voudrais que te traitat ton prochain."
Sur quoi Mme Remy, heureuse d'avoir montre sa science, ouvrit
majestueusement sa tabatiere, et Rose remonta dans l'appartement, en
disant que personne dans la maison n'etait en etat de la comprendre:
elle avait des gouts trop distingues pour tous ces gens-la.
VI
Un mois apres cette scene memorable, Marie etait devenue l'amie, presque
la soeur de Madeleine. Non seulement elle lui avait procure de l'ouvrage
en la recommandant a toutes ses connaissances, mais chaque jour elle
allait travailler aupres de la petite Julie. Souvent elle apportait avec
elle un gros livre, tout rempli d'images, et faisait une lecture que l
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