e que douze fois. Bocage dit que le directeur
n'a pas voulu la faire _prendre_. Le directeur etait, je crois, en
pleine deconfiture, le theatre est ferme. Bocage ne s'accorde pas avec
les theatres ou il n'est pas le maitre. On y est tres voleur, c'est
vrai; mais Bocage est un peu terrible avec eux, et je crois qu'il
faudra, ou que j'attende qu'il ait un theatre a lui, ou que je change
mes batteries si je veux gagner quelque argent avec mes pieces. Mais.
je n'ai pas le coeur a te parler beaucoup de cela aujourd'hui. Je
t'enverrai la piece quand je l'aurai recue. Je me suis remise au
travail, esperant, de l'avenir et de meilleures combinaisons, de
meilleurs resultats. Bonsoir, ma chere fille; je t'attends au mois
d'aout. Je t'aime; j'embrasse mon petit George et Bertholdi. Ecris-moi
souvent. Maurice t'embrasse; les jeunes gens le saluent tres amicalement
et humblement. Sois toujours heureuse _a ta maniere_, toi; c'est la
bonne!
CCCXXXI
A MADAME CAZAMAJOU, A CHATELLERAULT
Nohant, 6 juin 1851.
Oui, chere soeur, c'est une grande douleur pour nous, et c'est a present
que nous sommes tout a fait orphelines; car nous avions conserve, malgre
nos cheveux blancs, une seconde mere qui nous cherissait d'un coeur
toujours jeune. Elle etait si jeune de sante aussi, que ce coup imprevu
est bien cruel.
Elle devait aller le soir au theatre pour voir cette piece nouvelle de
moi; elle avait recu sa loge, elle se portait on ne peut mieux. Elle
disait a son ouvriere: "Allez me chercher un journal, que je voie si on
joue ce soir la piece de ma niece." C'a ete sa derniere parole. On l'a
retrouvee mourante sur son fauteuil. Elle a expire une heure apres dans
les bras de Clotilde, sans souffrir et sans rien comprendre. Clotilde
n'a rien voulu me faire savoir, a cause des occupations ou je me
trouvais. Le soir, pendant la premiere representation, j'etais dans les
coulisses, j'apercevais la loge d'avant-scene ou elle devait etre.
J'y voyais des figures etrangeres, je m'en inquietais; j'avais un
pressentiment affreux, je ne pensais pas plus a ma piece que si elle
etait d'un autre. Le lendemain matin, je cours chez Clotilde, et
j'apprends de son portier la triste nouvelle. Je ne peux pas te dire
le mal que cela m'a fait. La fievre et la grippe m'ont prise
instantanement. Je suis comme toi, je ne m'ecoute guere. J'ai traine
cette vilaine maladie sans me coucher et ne m'en suis trouvee
debarrassee qu'i
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