avais pas alors qu'il dut epouser la
belle-soeur, parole! Je ne l'ai su qu'hier au matin en faisant causer le
domestique de ces dames. Je vous dirai bien que cela ne me parait pas
une raison sans appel... Je suis sceptique, moi, je vous l'ai dit; mais
je ne veux pas vous scandaliser, et je veux bien croire... Mon Dieu,
comme vous etes distrait! A quoi donc pensez-vous?
--A rien, et c'est votre faute! Vous ne dites rien qui vaille. Vous
n'avez pas le sens commun, mon cher, avec vos idees de profonde
sceleratesse. Quel mauvais genre vous avez la! C'est tres-mal porte,
surtout quand on est riche et gras.
Si j'avais su combien il etait impossible de facher Moserwald, je me
serais dispense de ces duretes gratuites, qui le divertissaient
beaucoup. Il aimait qu'on s'occupat de lui, meme pour le rudoyer ou le
railler.
--Oui, oui, vous avez raison! reprit-il comme transporte de
reconnaissance; vous me dites ce que me disent tous mes amis, et je vous
en sais gre. Je suis ridicule, et c'est la le plus triste de mon
affaire! J'ai le spleen, mon cher, et l'incredulite des autres sur mon
compte vient s'ajouter a celle que j'ai envers tout le monde et envers
moi-meme. Oui, je devrais etre heureux, parce que je suis riche et bien
portant, parce que je suis gras! Et cependant je m'ennuie, j'ai mal au
foie, je ne crois pas aux hommes, aux femmes encore moins! Ah ca!
comment faites-vous pour croire aux femmes, par exemple? Vous me direz
que vous etes jeune! Ce n'est pas une raison. Quand on est tres-instruit
et tres-intelligent, on n'est jamais jeune. Pourtant voila que vous etes
amoureux...
--Moi! ou prenez-vous cela?
--Vous etes amoureux, je le vois, et aussi naivement que si vous etiez
sur de reussir a etre aime; mais, mon cher enfant, c'est la chose
impossible, cela! On n'est jamais aime que par interet! Moi, je l'ai ete
parce que j'ai un capital de plusieurs millions; vous, vous le serez
parce que vous avez un capital de vingt-trois ou vingt-quatre ans, de
cheveux noirs, de regards brulants, capital qui promet une somme de
plaisirs d'un autre ordre et non moins positifs que ceux que mon argent
represente, beaucoup plus positifs, devrais-je dire, car l'argent
procure des plaisirs eleves, le luxe, les arts, les voyages... tandis
que, lorsqu'une femme prefere a tout cela un beau garcon pauvre, on peut
etre sur qu'elle fait grand cas de la realite. Mais ce n'est pas de
l'amour comme nous l'entendons, vous et moi. Nous voudrion
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