Mais je tomberai peut-etre entre les lignes, ou les rats et les corbeaux
se disputeront mes depouilles, alors je serai enfoui dans la fosse
commune.
Je veux que l'on pense quelquefois a moi comme l'on pense a un ami
qui voulait vivre et qui maudit cette guerre qui m'a fauche avant de
connaitre la vie, en pleine sante et en pleine force.
_Lettre ecrite par Robert CAMUS, Sergent, 408e d'Infanterie, blesse
mortellement le 3 Octobre 1918._
27 Aout.
Cher Papa,
Dans ton mot du 15, tu me disais que Marcel Blondin etait en permission
et qu'il portait le galon de sergent automobiliste. Tant mieux pour lui,
c'est un poste de toute securite. Je conviens qu'il a une belle chance.
Quant a moi, j'estime que je suis a la place qui convient a mon age et
a ma situation. D'ailleurs, je n'ai nullement le pouvoir d'en changer.
J'ai aussi comme une fierte de la souffrance qui le plus souvent est la
compagne de l'homme sur la terre. Et j'ai confiance dans le retour pour
vous revoir et vous aimer.
Trouve ma chance egale a tout autre puisque je suis demeure intact au
milieu des plus fortes tempetes.
Ici, le secteur continue d'etre tranquille. L'avant-derniere nuit, j'ai
eu un poste d'inquiete par une patrouille, mais quelques grenades ont
suffi pour la mettre en fuite.
Le temps a change quelque peu. Nous avons eu deux orages. Les nuits se
font deja fraiches, surtout dans la vallee qui s'emplit de brouillard.
Je suis heureux que vous ayez termine la moisson par un temps favorable.
Je vous embrasse tous de tout mon coeur.
Ton fils devoue,
ROBERT.
_Lettre ecrite par Roger CAUVIN, 153e Regiment d'Infanterie, tombe au
champ d'honneur, a la bataille de Verdun, le 9 Avril 1916._
4 Avril 1916.
Mon tres cher petit pere,
Ma tres chere petite mere,
Nous partons demain pour les tranchees.
Avant de "monter la-haut", comme on dit, je voudrais effacer par mes
paroles, sinon par mes actes, les tourments que j'ai pu vous avoir
causes.
5 Avril 1916.
Hier soir, je me suis confesse et ce matin j'ai communie. J'ai demande
pardon a Dieu de mes fautes et aussi je lui ai crie mon amour.
A vous aussi, mes bien chers parents, je dois crier que je vous aime et
que, apres Dieu, vous etes mes seules grandes affections.
Lorsque j'etais petit, vous vous etes souvent prives pour moi et vous
n'avez jamais hesite a faire un sacrifice pour me rendre heureux. Que de
travail petite mere n'a-t-elle pas fait. Depuis ving
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