sommes sourds
et bien nourris, et nous plaisons--car de cela encore nous sommes juges,
etant bruyants. Nous avons au fond de nos poches la consideration, la
patrie et toutes les places. Nous avons cree la notion du ridicule
(contre ceux qui sont _differents_), et le type du bon garcon (tant la
profondeur de notre ame est admirable).
* * * * *
--Ah! songeait-il, se mettant en marche, tout en flambant son quatrieme
cigare, petite chose le plus triomphant de ces repus! Oui, je me sens le
frere trebuchant des ames fieres qui se gardent a l'ecart une vision
singuliere du monde. Les choses basses peuvent limiter de toutes parts
ma vie, je ne veux point participer de leur mediocrite. Je me reconnais;
je suis toutes les imaginations et prince des univers que je puis
evoquer ici par trois idees associees. Que toutes les forces de mon
orgueil rentrent en mon ame. Et que cette ame dedaigneuse secoue la
sueur dont l'a souillee un indigne labeur. Qu'elle soit bondissante.
J'avais hate de cette nuit, o mon bien-aime, o moi, pour redevenir un
dieu.
* * * * *
--Mon pauvre ami, que pensez-vous donc dejouer ainsi les jeunes dieux!
Hier vous parutes encore un enfant; vos reins s'etaient courbatures
pendant que vous interrogiez les contradictions des penseurs; a l'aube,
on vous a vu la peau fripee et dans les yeux de legeres fibrilles rouges
apres des experiences sentimentales.
--Qu'importe mon corps! Demence que d'interroger ce jouet! Il n'est rien
de commun entre ce produit mediocre de mes fournisseurs et mon ame ou
j'ai mis ma tendresse. Et quelque bevue ou ce corps me compromette,
c'est a lui d'en rougir devant moi.
--Mon pauvre ami, que pensez-vous donc? Vos idees, votre ame enfin,
cinquante que vous connaissez les possederent et les ont exprimees avec
des mots delicieux. Sachez donc que, n'etant pas neuf, vous paraissez
encore sec, essouffle, fievreux; qui donc pensez-vous charmer?
--Mes pensees, mon ame, que m'importe! Je sais en quelle estime tenir
ces representations imparfaites de mon moi, ces images fragmentaires et
furtives ou vous pretendez me juger. Moi qui suis la loi des choses, et
par qui elles existent dans leurs differences et dans leur unite,
pouvez-vous croire que je me confonde avec mon corps, avec mes pensees,
avec mes actes, toutes vapeurs grossieres qui s'elevent de vos sens
quand vous me regardez!
Il serait beau, dites-vous, d'etre pe
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