ndonnais que je connus la faiblesse delicieuse de soupirer. Mon
reve solitaire fut fecond, il m'a donne la mollesse amoureuse et les
larmes. D'ailleurs tu _compares_ et tu _envies_, ainsi tu autorises les
accidents, les apparences et toutes les petitesses de l'ambition a nous
preoccuper. Je ne veux plus te rever et tu ne m'apparaitras plus.
J'entends vivre avec la partie de moi-meme qui est intacte des basses
besognes.
* * * * *
Alors dans la fumee, loin du bruit de la vie, quittant les evenements et
toutes ces mortifications, le jeune homme sortit du sensible. Devant lui
fuyait cette vie etroite pour laquelle on a pu creer un vocabulaire. Un
amas de reves, de nuances, de delicatesses sans nom et qui s'enfoncent a
l'infini, tourbillonnent autour de lui: monde nouveau, ou sont inconnus
les buts et les causes, ou sont tranches ces mille liens qui nous
rattachent pour souffrir aux hommes et aux choses, ou le drame meme qui
se joue en notre tete ne nous est plus qu'un spectacle.
Quand, porte par l'enthousiasme, il rentrait ainsi dans son royaume,
qu'auraient-ils dit de cette transfiguration, ses familiers, qui
toujours le virent vetu de complaisance, de mediocres ambitions, de
futilites et s'enervant a des plaisanteries de cafe-concert. Au jour les
besognes chasseront de son coeur ces influences sublimes. Qu'importe!
Cette nuit celebre la resurrection de son ame; il est soi, il est le
passage ou se pressent les images et les idees. Sous ce defile solennel
il frissonne d'une petite fievre, d'un tremblement de hate: vivra-t-il
assez pour sentir, penser, essayer tout ce qui l'emeut dans les peuples,
le long des siecles!
Il se rejette en arriere pour aspirer une bouffee de tabac, et sa pensee
soudain se divise; et tandis qu'une partie de soi toujours se glorifiait,
l'autre contemplait le monde.
Il se penchait du haut d'une tour comme d'un temple sur la vie. Il y
voyait grouiller les Barbares, il tremblait a l'idee de descendre parmi
eux; ce lui etait une repulsion et une timidite, avec une angoisse. En
meme temps il les meprisait. Il reconnaissait quelques-uns d'entre eux;
il distinguait leur large sourire blessant, cette vigueur et cette
turbulence.
* * * * *
Nous sommes les Barbares, chantent-ils en se tenant par le bras, nous
sommes les convaincus. Nous avons donne a chaque chose son nom; nous
savons quand il convient de rire et d'etre serieux. Nous
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