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leuve enorme de pensees qui coule resserre entre le coucher du soleil et l'aube, il lui semblait que, desormais debordant cet etroit canal d'une nuit, le fleuve allait se repandre et l'emporter lui-meme sur tout le champ de la vie. Delices de comprendre, de se developper, de vibrer, de faire l'harmonie entre soi et le monde, de se remplir d'images indefinies et profondes: beaux yeux qu'on voit au dedans de soi pleins de passion, de science et d'ironie, et qui nous grisent en se defendant, et qui de leur secret disent seulement: "Nous sommes de la meme race que toi, ardents et decourages." * * * * * Et ce ne sont pas la les pensees familieres, les cheres pensees domestiques, de flanerie ou d'etude, que l'on protege, que l'on rechauffe, qu'on voit grandir. A celles-la, le soir, comme a des amoureuses nous parlons sur l'oreiller; nous leur ajoutons un argument comme une fleur dans les cheveux: elles sont notre compagne et notre coquetterie, et nous enlevons d'elles la moindre poussiere d'imperfection. Bonheur paisible! mais dans leurs bras j'entends encore le monde qui frappe aux vitres. Et puis, trop souvent cette angoisse terrible: "Sont-elles bonnes? et leur beaute?" Un nuage passe: "D'autres les ont possedees; demain elles me paraitront peut-etre froides, vides, banales." Ah! cette secheresse! ces harassements de reprendre, a froid et d'une ame retrecie, des theories qui hier m'echauffaient! Ah! presser une imagination, systematiser, synthetiser, eliminer, affiner, comparer! besogne d'ecoeurement! degout! d'ou l'on atteint la sterilite. Et devant cet amas de reves gaches, le cerveau fourbu demeure toujours, affame jusqu'au desespoir et ne trouvant plus rien, plus une rognure de systeme a baratter.--Vraiment, je me soucie peu de connaitre ces angoisses. Ce que j'aime et qui m'enthousiasme, c'est de creer. En cet instant je suis une fonction. O bonheur! ivresse! je cree. Quoi? Peu importe; tout. L'univers me penetre et se developpe et s'harmonise en moi. Pourquoi m'inquieter que ces pensees soient vraies, justes, grandes? Leurs epithetes varient selon les etres qui les considerent; et moi, je suis tous les etres. Je frissonne de joie, et, comme la mere qui palpite d'un monde, j'ignore ce qui nait en moi. * * * * * Lourds soirs d'ete, quand sorti de la ville odieuse, pleine de buee, de sueur et de gesticulations, j'allais seul dans la campagne et, couc
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