il s'etonnait parfois de retrouver
dans son souvenir certains acces de tendresse ou de haine. Est-il
possible que j'aie declame! J'esperais cela! O naivete! Il rougissait.
Et malgre sa sincerite, ca et la vous devinerez peut-etre qu'il a mis la
sourdine, par respect pour le lecteur et pour soi-meme.
Souvent, tres souvent, fatigue, perdu dans cette casuistique monotone,
touche du soupcon qu'il n'avait connu que des enfantillages, plus
effraye encore a l'idee de recommencer une vraie vie serieuse, ferme,
utile, il s'interrompait:
* * * * *
O maitre, maitre, ou es-tu, que je voudrais aimer, servir, en qui je me
remets!"
* * * * *
O maitre,
Je me rappelle qu'a dix ans, quand je pleurais contre le poteau de
gauche, sous le hangar au fond de la cour des petits, et que les
cuistres, en me bourradant, m'affirmaient que j'etais ridicule, je
m'interrogeais avec angoisse! "Plus tard, quand je serai une grande
personne, est-ce que je rougirai de ce que je suis aujourd'hui?"--Je ne
sais rien que j'aime autant et qui me touche plus que ce gamin, trop
sensible et trop raisonneur, qui m'implorait ainsi, il y a quinze ans.
Petit garcon, tu n'avais pas tort de mepriser les cuistres,
dispensateurs d'eloge et ordonnateurs de la vie, de qui tu dependais;
tu montrais du gout de te plaire, de fois a autre, par les temps humides,
a pleurer dans un coin plutot que de jouer avec ceux que tu n'avais pas
choisis. Crois bien que les soucis et les pretentions des grandes
personnes ont continue a m'etre souverainement indifferents. Aujourd'hui
comme alors, je sens en elles l'ennemi; pres d'elles je retrouve le
dedain et la timidite que t'inspirait la mediocrite de tes maitres.
Rien de mes emotions de jadis ne me paraitrait leger aujourd'hui. J'ai
les memes nerfs; seul mon raisonnement s'est fortifie, et il m'enseigne
que j'avais tort, quand, tous m'ayant blesse, je disais en moi-meme:
"Ils verront bien, un jour." Chaque annee, a chaque semaine presque,
j'ai pu repeter: "Ils verront bien", ce mot des enfants sans defense
qu'on humilie. Mais je n'ai plus le desir ni la volonte de manifester
rien qui soit digne de moi. L'effort egoiste et apre m'a sterilise. Il
faut, mon maitre, que tu me secoures.
Je n'ai plus d'energie, mais compte qu'a la sensibilite violente d'un
enfant je joins une clairvoyance des longtemps avertie. Et je te dis
cela pour que tu le comprennes, ce
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