mis, il etait devenu,
sans posseder un sou vaillant, l'associe de M. Ducornet, puis son gendre,
finalement son successeur. Jusque-la, il est vrai, rien n'etait plus
legitime. Mais comment devait-il en user et acquitter sa dette envers une
famille qui, eu egard seulement au chiffre de sa fortune, pouvait exiger
dans un gendre bien autre chose que du merite.
Son beau-pere mourut. A observer l'effet de cette mort sur Thillard, on
eut dit d'un homme qu'on debarrasse de chaines pesantes, a la suite d'une
longue et dure reclusion. Toute la vertu de son passe n'etait qu'une
imperturbable hypocrisie. Actuellement, aux plus mauvais instincts, a un
egoisme incommensurable, il fallait joindre une vanite sans contre-poids
de parvenu et le vertige dont le frappait l'eclat d'une fortune inesperee.
Sa femme et sa belle-mere, engouees de lui a en perdre toute clairvoyance,
ne discontinuerent pas d'etre ses dupes et ses victimes. Elles furent les
dernieres a connaitre ses desordres, et, hormis un luxe ruineux, elles
crurent jusqu'a la fin n'avoir point de reproche a lui faire. Cependant,
bien qu'il se montrat vis-a-vis d'elles toujours aussi empresse, toujours
aussi jaloux de leur plaire, sa pensee s'eloignait de plus en plus de sa
femme et de son interieur. Entraine par gloriole au milieu de ces rentiers
parasites autour de qui rodent des industriels de toutes sortes, comme
font les requins autour d'un navire, il achetait le triste honneur de
cette compagnie par un mepris de l'argent analogue a celui d'un homme qui
n'est pas le fils de ses oeuvres ou qui l'est devenu trop vite. En proie
au jeu, a d'insatiables courtisanes, a une dissipation effrenee, bientot a
l'usure, quand, apres quatre annees de ces exces, l'embarras de ses
affaires exigeait des mesures urgentes, energiques, radicales, il achevait
de compromettre irreparablement sa position en se jetant pieds et poings
lies dans des speculations hasardeuses. Enfin, aux defiances dont il etait
l'objet, a son credit ebranle, il n'etait plus possible de prevoir comment,
a moins d'un miracle, il parviendrait a conjurer sa ruine.
"Je vous laisse a penser dans quelles anxietes je vivais, continua
Frederic qui, en cet endroit, plongea de nouveau les doigts dans sa
tabatiere. Notez que je me consolais un peu en songeant que madame
Ducornet et sa fille, quoi qu'il arrivat, auraient toujours les ressources
de leur avoir personnel. Qu'est-ce que je devins donc quand je m'apercus
que M. Thill
|