pour cela l'insulter ni le meconnaitre, mais par la seule raison
que son genie n'entrerait pas dans leur cadre? Presentez vous aux
theatres vraiment litteraires, et qui sont subventionnes pour l'etre, et
soyez sur que, si vous leur apportez quelque chose de beau et de bon ils
l'accepteront avec empressement, a condition toutefois que ce soit dans
la forme voulue; car vous savez bien qu'on n'y peut jouer Schiller ni
Goethe qu'avec des arrangements considerables.
Mais vous luttez, dites-vous, depuis treize ans. Eh bien, il est
probable que vous n'avez pas la specialite du theatre. Cherchez-en une
autre, on en a toujours une quand on veut s'interroger soi-meme avec
courage et modestie.
Courage donc, monsieur; je ne suis pas vindicative; je vous pardonne vos
compliments.
G. SAND.
DXL
A M. CHARLES PONCY, A VENISE
Nohant, 28 decembre 1863.
Cher enfant,
Je vous remercie de votre bonne, longue et interessante lettre, et de
vos souhaits du jour de l'an, que je vous renvoie de tout mon coeur,
ainsi qu'a votre chere Solange.
Venise est donc finie? Pauvre Venise! mais rien ne finit et un jour
viendra ou tout ce luxe de beaute perdue sera rajeuni et ressuscite.
Nous sommes dans le siecle du marteau qui abat et de la truelle qui
reconstruit. Vous me racontez on ne peut mieux tout ce que vous avez vu.
Cette vie errante, mais saine au corps et a l'esprit, a du faire du bien
a Solange et je vous engage a ne pas vous en lasser trop vite.
Puisque le pauvre nid est desole encore, laissez l'herbe et les branches
pousser sur le seuil.--Quand vous reviendrez les ecarter, les douloureux
souvenirs auront fait place a cette grave serenite que la mort laisse
apres elle dans les coeurs auxquels la conscience ne reproche rien.
Mais il est inutile de vouloir hater ce moment. La nature a droit aux
larmes. C'est un soulagement qu'elle exige en meme temps qu'un noble
tribut qu'elle paye. Votre chere enfant recoit par la un grand bapteme.
Elle en appreciera plus tard l'effet salutaire et fortifiant.
J'ai recu toutes vos lettres.--J'ai partage et ressenti toutes vos
emotions. Me voila enfin sortie, pour quelques jours, d'une grande crise
de travail. Pour m'en distraire, je lis _Emerson_, que je ne connaissais
pas. C'est un philosophe americain, a la fois savant, poete, critique
et metaphysicien, un vaste cerveau un peu obscurci par trop de clartes
diverses, mais sublime, il n'y a pas a di
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