reste deux heures en face de cette belle ennuyee, qui
ne lui a seulement pas une fois adresse la parole. Si c'est la l'accueil
qu'elle reserve ce soir au grand personnage qui leur fait l'honneur de
venir diner avec elles... Ici la douce Crenmitz, qui rumine paisiblement
toutes ces pensees en regardant le fin bout de ses souliers a
bouffettes, se rappelle subitement qu'elle a promis de confectionner
une assiette de patisseries viennoises pour le diner du personnage en
question, et sort de l'atelier discretement sur la pointe de ses petits
pieds.
Toujours la pluie, toujours la boue, toujours le beau sphinx accroupi,
les yeux perdus dans l'horizon fangeux. A quoi pense-t-il? Qu'est-ce
qu'il regarde venir la-bas, par ces routes souillees, douteuses sous
la nuit qui tombe, avec ce pli au front et cette levre expressive de
degout? Est-ce son destin qu'il attend? Triste destin qui s'est mis en
marche par un temps pareil, sans crainte de l'ombre, de la boue...
Quelqu'un vient d'entrer dans l'atelier, un pas plus lourd que le trot
de souris de Constance. Le petit domestique sans doute. Et Felicia,
brutalement sans se retourner:
"Va te coucher... Je n'y suis pour personne...
--J'aurais bien voulu vous parler cependant, lui repond une voix amie."
Elle tressaille, se redresse, et radoucie, presque rieuse devant ce
visiteur inattendu:
--Tiens! c'est vous, jeune Minerve... Comment etes-vous donc entre?
--Bien simplement. Toutes les portes sont ouvertes.
--Cela ne m'etonne pas. Constance est comme folle, depuis ce matin, avec
son diner...
--Oui, j'ai vu. L'antichambre est pleine de fleurs. Vous avez?...
--Oh! un diner bete, un diner officiel. Je ne sais pas comment j'ai
pu... Asseyez-vous donc la; pres de moi. Je suis heureuse de vous voir."
Paul s'assied, un peu trouble. Jamais elle ne lui a paru si belle. Dans
le demi-jour de l'atelier, parmi l'eclat brouille des objets d'art,
bronzes, tapisseries, sa paleur fait une lumiere douce, ses yeux ont
des reflets de pierre precieuse, et sa longue amazone serree dessine
l'abandon de son corps de deesse. Puis elle parle d'un ton si
affectueux, elle semble si heureuse de cette visite. Pourquoi est-il
reste aussi longtemps loin d'elle? Voila pres d'un mois qu'on ne l'a vu.
Ils ne sont donc plus amis? Lui s'excuse de son mieux. Les affaires, un
voyage. D'ailleurs, s'il n'est pas venu ici, il a souvent parle d'elle,
oh! bien souvent, presque tous les jours.
"Vraiment?
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