pieds de haut, qui s'appellerait: "Mon ennui."
--Mais pourquoi t'ennuies-tu, ma cherie, dit avec douceur la vieille
danseuse, aimable et rose dans son fauteuil, ou elle se tient
tres droite de peur d'abimer sa coiffure encore plus soignee que
d'habitude... N'as-tu pas tout ce qu'il faut pour etre heureuse?"
Et, de sa voix tranquille, pour la centieme fois, elle recommence a lui
enumerer ses raisons de bonheur, sa gloire, son genie, sa beaute, tous
les hommes a ses pieds, les plus beaux, les plus puissants; oh! oui,
les plus puissants, puisqu'aujourd'hui meme... Mais un miaulement
formidable, une plainte dechirante du chacal exaspere par la monotonie
de son desert, fait trembler tout a coup les vitres de l'atelier et
rentrer dans son cocon l'antique chrysalide epouvantee.
Depuis huit jours, son groupe fini, parti pour l'exposition, a laisse
Felicia dans ce meme etat de prostration, d'ecoeurement, d'irritation
navree et desolante. Il faut toute la patience inalterable de la fee, la
magie de ses souvenirs evoques a chaque instant pour lui rendre la vie
supportable a cote de cette inquietude, de cette colere mechante qu'on
entend gronder au fond des silences de la jeune fille, et qui subitement
eclatent dans une parole amere, dans un "pouah" de degout a propos de
tout... Son groupe est hideux... Personne n'en parlera... Tous les
critiques sont des anes... Le public? un goitre immense a trois etages
de mentons... Et pourtant, l'autre dimanche, quand le duc de Mora
est venu avec le surintendant des beaux-arts voir son exposition a
l'atelier, elle etait si heureuse, si fiere des eloges qu'on lui
donnait, si pleinement ravie de son travail qu'elle admirait a distance
comme d'un autre, maintenant que l'outil n'etablissait plus entre elle
et l'oeuvre ce lien genant a l'impartial jugement de l'artiste.
Mais c'est tous les ans ainsi. L'atelier depeuple du recent ouvrage,
son nom glorieux encore une fois jete au caprice imprevu du public, les
preoccupations de Felicia, desormais sans objet visible, errent
dans tout le vide de son coeur, de son existence de femme sortie du
tranquille sillon, jusqu'a ce qu'elle se soit reprise a un autre
travail. Elle s'enferme, ne veut voir personne. On dirait qu'elle se
mefie d'elle-meme. Il n'y a que le bon Jenkins qui la supporte pendant
ces crises. Il semble meme les rechercher, comme s'il en attendait
quelque chose. Dieu sait pourtant qu'elle n'est pas aimable avec lui.
Hier encore il est
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