es les plus charmantes, avait ete vaincue a
force de tyrannie. En ce lieu desole, l'echo avait oublie le refrain des
chansons; le bois sombre etait hante par des hotes silencieux; l'orfraie
et le vautour etaient les seuls habitants de ces sapins du Nord dont on
entendit les cris sauvages. Sur le bord des lacs depeuples, ce n'etaient
que coassements. Le betail avait faim; l'abeille errante avait ete
chassee, o misere! de sa ruche enfumee. Il n'y avait plus de sentiers
dans les champs, plus de ponts sur les ruisseaux, plus un bac sur la
riviere. Il y avait encore un moulin banal, mais pas un pain pour la
fournee. On racontait cependant qu'autrefois les villageois cuisaient
dans ce four leurs galettes de sarrasin, et, la veille des bonnes fetes,
un peu de viande au fond d'un plat couvert; mais le plat s'etait brise.
L'incendie et la peste avaient ete les seules distractions de ces
maisons douloureuses. La milice avait emporte les forts, la fievre avait
emporte les petits. Quelques vieux restaient pour maudire encore.
A travers le cimetiere avaient passe l'hyene et le loup devorants.
L'eglise etait vide, et la geole etait pleine. Autel brise, granges
devastees; le cure etait mort de faim; la cloche, au loin, ne battait
plus, faute d'une corde, avec laquelle le prevot, par economie, avait
pendu les plus malheureux. C'etait la seule charite que ces pauvres gens
pussent attendre. Ainsi, du Seigneur d'en haut et du seigneur d'en bas,
pas une trace. En vain il est ecrit: "Pas de terre sans seigneur, et pas
de ciel sans un Dieu!" C'etait vrai pourtant, Dieu n'etait plus la!
Le marquis de Mondragon, le maitre absolu de cette seigneurie, etait
absent; sa femme n'y venait plus, ses enfants n'y venaient pas. La honte
et le deshonneur avaient precede cette ruine. Ah! rien que des lambeaux
pour couvrir les vassaux de cet homme, et rien que des herbes pour les
nourrir! Les sangsues avaient a peine laisse sur ces pauvres un peu de
chair collee sur leurs os! Malheureux! ils avaient supporte si longtemps
les gens de guerre, les gens d'affaires, les gens du roi, des princes du
sang, des officiers de la couronne et des gentilshommes au service de Sa
Majeste! autant d'oiseaux de proie et de rapine. A la fin, quand on les
vit tout a fait reduits au neant, rois, princes et seigneurs, capitaines
et marquis semblerent avoir oublie que ce petit coin de terre existat.
C'etait une relache, et cette race, taillable et corveable a merci, eut
peut-etre f
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