le coeur. Il vivait avec ses cheries, qui
certes ne croyaient pas l'avoir si pres d'elle.
Une fois, pendant une absence de Maranne, M. Joyeuse, gardant fidelement
l'atelier et son appareil neuf, entendit frapper deux petits coups
ou plafond du quatrieme, deux coups separes, tres distincts, puis un
roulement discret comme un trot de souris. L'intimite du photographe
avec ses voisins autorisait bien ces communications du prisonniers; mais
qu'est-ce que cela signifiait? Comment repondre a ce qui semblait un
appel? A tout hasard, il repeta les deux coups, le tambourinement leger,
et la conversation en resta la. Au retour d'Andre Maranne, il eut
l'explication du fait. C'etait bien simple: quelquefois, au courant de
la journee, ces demoiselles, qui ne voyaient leur voisin que le soir,
s'informaient de ses nouvelles, si la clientele allait un peu. Le signal
entendu voulait dire: "Est-ce que les affaires vont bien aujourd'hui?"
Et M. Joyeuse avait repondu d'instinct, sans savoir: "Pas trop mal pour
la saison." Bien que le jeune Maranne fut tres rouge en affirmant cela,
M. Joyeuse le croyait sur parole. Seulement cette idee de communication
frequente entre les deux menages lui fit peur pour le secret de sa
situation, et des lors il s'abstint de ce qu'il appelait "ses journees
artistiques." D'ailleurs, le moment approchait ou il ne pourrait plus
dissimuler sa detresse, la fin du mois arrivant compliquee d'une fin
d'annee.
Paris prenait deja sa physionomie de fete des dernieres semaines de
decembre. En fait de rejouissance nationale ou populaire, il n'a guere
plus que celle-la. Les folies du carnaval sont mortes en meme temps que
Gavarni, les fetes religieuses, dont on entend a peine le carillon sur
le bruit des rues, s'enferment derriere leurs lourdes portes d'eglise,
le quinze aout n'a jamais ete que la Saint-Charlemagne des casernes;
mais Paris a garde le respect du jour de l'an.
Des le commencement de decembre, un immense enfantillage se repand par
la ville. On voit passer par la ville des voitures a bras remplies de
tambours dores, de chevaux de bois, de jouets a la douzaine. Dans les
quartiers industrieux, du haut en bas des maisons a cinq etages, des
vieux hotels du marais, ou les magasins ont de si hauts plafonds et des
doubles portes majestueuses, on passe les nuits a manier de la gaze, des
fleurs et du paillon, a coller des etiquettes sur des boites satinees, a
trier, marquer, emballer; les mille details du joujou,
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