a, tout va donc bien de votre cote. J'ai retrouve
hier un petit imprime de vous, intitule _Lieds_. Je ne l'avais pas vu.
On recoit ici les lettres, journaux et imprimes, le matin. On m'apporte
les lettres dans mon lit; mais, les imprimes, sous pretexte de lire
les journaux, mes jeunes gens les egarent ou les laissent trainer
quelquefois, ce qui revient au meme. Si bien que j'ai retrouve le votre
en fouillant dans une masse de rebuts ou il n'aurait pas du etre. Il y a
de charmantes choses dans ces _Lieds_, et je vois que la vie reelle, a
laquelle il faut bien que, riche ou pauvre, on donne la meilleure partie
de son temps, n'eteint pas en vous le feu sacre. Si la poesie ne fait
pas venir le pain a la maison, du moins elle y conserve la vie de l'ame,
et cela, joint aux tendres affections du coeur et de la famille, est
encore un grand present du bon Dieu.
J'oublie de vous parler de _Moliere_.--Non, les tracasseries de la
censure n'ont ete que vaines menaces. Il n'y avait rien dans la piece
a quoi le mauvais vouloir put se prendre. Je vous l'enverrai en quatre
actes, comme elle a ete jouee, et en cinq actes, comme je l'avais
faite. Vous y trouverez bien de l'impartialite historique. Vous verrez
seulement une scene ou, apres que divers personnages ont bu a la sante
du roi et de la reine, des princes de la Fronde; un chasseur, a ses
chiens; une gardeuse d'oies, a ses oies, Moliere boit a la sante du
peuple. Voila le mot que la censure voulait absolument oter. J'ai tenu
bon; je les ai defies d'interdire la piece. Je les ai pries de le faire,
leur disant que jamais plus belle occasion ne se presenterait pour moi
de proclamer le jugement et les vertus de la censure. Ils ont cede, et
le mot est reste. Ils sont tres betes, ces gens-la! si betes, qu'on est
force d'en avoir pitie!
Le public des premieres representations a tres bien accueilli ce
_Moliere_. Mais je dois dire, _entre nous_, que le public des
boulevards, ce public a dix sous qui doit etre le peuple, et a qui j'ai
sacrifie le public bien payant du Theatre-Francais, ne m'a pas tenu
compte de mon devouement. Le peuple est encore ingrat ou ignorant. Il
aime mieux les meurtres, les empoisonnements, que la litterature de
style et du coeur. Enfin, c'est encore le peuple du _boulevard du
crime_, et on aura de la peine a l'ameliorer comme gout et comme morale.
La piece, delaissee par ce public-la, n'a eu que douze representations,
peu suivies par lui, et soutenues seulement p
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