e livre de mon avenir. Et pourtant je
n'etais ni un caractere passif, ni un esprit sans reaction; mais je
croyais beaucoup a la fatalite. C'etait la mode en ce temps-la, et
croire a la fatalite, c'est la creer en nous-memes.
[Note 1: C'est la boite de fer battu ou les botanistes mettent leurs
plantes a la promenade pour les conserver fraiches.]
--Qui donc va s'emparer de moi? me disais-je en m'endormant avec peine
vers minuit, tandis qu'Obernay, couche a six heures du soir, se relevait
pour se livrer aux observations scientifiques dont son ami lui avait
confie le programme. Pourquoi Henri a-t-il paru si inquiet de moi? Son
oeil exerce a lire dans les nuages a-t-il apercu au dela de l'horizon
les tempetes qui me menacent? Qui donc vais-je aimer? Je ne connais
aucune femme qui m'ait fait beaucoup songer, si ce n'est deux ou trois
grandes artistes lyriques ou dramatiques auxquelles je n'ai jamais parle
et ne parlerai probablement jamais. J'ai eu la vie, sinon la plus calme,
du moins la plus pure. J'ai senti en moi les forces de l'amour, et j'ai
su les conserver entieres pour un objet ideal que je n'ai pas encore
rencontre.
Je revai, en donnant, a une femme que je n'avais jamais vue, que, selon
toute apparence, je ne devais jamais voir, a madame de Valvedre. Je
l'aimai passionnement durant je ne sais combien d'annees dont la vision
ne dura peut-etre pas une heure; mais je m'eveillai surpris et fatigue
de ce long drame dont je ne pus ressaisir aucun detail. Je chassai ce
fantome et me rendormis sur le cote gauche. J'etais agite. Le juif
Moserwald m'apparut et m'offensa si cruellement, que je lui donnai un
soufflet. Eveille de nouveau, je retrouvai sur mes levres des mots
confus qui n'avaient aucun sens. Dans mon troisieme somme, je revis le
meme personnage, amical et railleur, sous la forme d'un oiseau
fantastique enormement gras, qui s'enlevait lourdement de terre, et que
je poursuivais cependant sans pouvoir l'atteindre. Il se posait sur les
rochers les plus eleves, et, les faisant crouler sous son poids, il
m'environnait en riant de lavanges de pierres et de glacons. Toutes les
metaphores dont Obernay m'avait regale prenaient une apparence sensible,
et je ne pus reposer qu'apres avoir epuise ces fantaisies etranges.
Quand je me levai, Obernay, qui avait veille jusqu'a l'aube, s'etait
recouche pour une heure ou deux. Il avait l'admirable faculte
d'interrompre et de reprendre son sommeil comme toute autre occupation
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