e des loups! Et moi, homme d'intelligence et de reflexion, je
n'ai meme pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que
toutes les voix de l'ame se taisent devant le cri de l'estomac qui
faiblit et qui brule!--Si elles s'eveillent dans le delire de mes nuits
deplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces
souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi
seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosites qui
se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour
son cabinet. Il y a des boutiques ou l'on vend des singes, des tortues,
des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'ame d'un poete est une
boutique ou le public vient marchander toutes les formes du desespoir:
celui-ci estime l'ambition decue sous la forme d'une ode au dieu des
vers; celui-la s'affectionne pour l'amour trompe, rime en elegie; cet
autre rit aux eclats d'une epigramme qui partit d'un sein ronge par la
colere, d'une bouche amere de fiel. Pauvre poete! chacun prend une piece
de ton vetement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et
quand chacun a essaye ton vetement a sa taille, eprouve la force de tes
nerfs, analyse la qualite de ton sang, il te jette a terre avec quelques
pieces de monnaie pour dedommagement de ses insultes, et il s'en va,
se preferant a toi dans la sincerite de ses pensees insolentes et
stupides.--O gloire du poete, laurier, immortalite promise, sympathie
flatteuse, haillons de royaute, jouets d'enfants! que vous cachez mal
la nudite d'un mendiant couvert de plaies! Oh! meprisables! meprisables
entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que
celui-la, se font poetes pour le public! Miserables comediens qui
pourriez jouer le role d'hommes, et qui montez sur un treteau pour faire
rire et pleurer les desoeuvres! n'avez-vous pas la force de vivre en
vous-memes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on
vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos pueriles
grandeurs, pour compatir a vos douleurs vulgaires! Celui qui est ne
fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcement la vocation
hereditaire; il accomplit sa triste et honteuse destinee. S'il en
triomphe, s'il s'eleve seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il
soit loue et encourage! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits,
hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la
science pour vous occuper, des
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