votre emotion: aussitot que vous cessez d'etre attentifs, il faut
que je cesse d'etre inspire. Qu'est-ce donc que la poesie? Croyez-vous
que ce soit seulement l'art d'assembler des mots?
Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous avez raison! vous
etes reine, vous etes belle, vous etes ambitieuse et forte. Votre ame
est grande, votre esprit est vaste. Vous avez une belle vie; en bien!
vivez. Changez d'amusement, changez de caractere vingt fois par jour;
vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blame pas; et, si je vous
aime, c'est peut-etre parce que je vous sens plus forte et plus sage
que moi. Si je suis heureux d'un de vos sourires, si une de vos larmes
m'enivre de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des
bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez me refuser.
Moi, quel merite ai-je a vous aimer? je ne puis faire autrement. De quel
prix est mon amour? l'amour est ma seule faculte. A quels plaisirs, a
quels enivrements ai-je la gloire de tout preferer? Rien ne m'enivre,
rien ne me plait, si ce n'est vous. La moindre de vos caresses est un
sacrifice que vous me faites, puisque c'est un instant que vous derobez
a d'autres interets de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous
etes mon autel et mon Dieu, et je suis moi-meme l'offrande deposee a vos
pieds.
Si je suis mecontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en prendre de mes
souffrances? Si je pouvais me plaindre, m'indigner, exiger plus qu'on ne
me donne, j'espererais. Mais je n'espere ni ne reclame; je souffre.
Eh bien, oui, je souffre et je sais mecontent. Pourquoi ai-je voulu
vivre? Quelle insigne lachete m'a pousse a tenter encore l'impossible?
Ne savais-je pas bien que j'etais seul de mon espece et que je serais
toujours ridicule et importun? Qu'y a-t-il de plus chetif et de plus
miserable que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui souffre est un
fleau! c'est un objet de tristesse et de degout pour les autres! c'est
un cadavre qui encombre la voie publique, et dont les passants se
detournent avec effroi. Etre malheureux, c'est etre l'ennemi du genre
humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur compte, et celui
qui ne sait pas vivre pour lui-meme est un voleur qui depouille ou un
mendiant qui assiege.
Meurs donc, lache! il est bien temps d'en finir! tu t'es bien assez
cabre sous la necessite! Tes flancs ont saigne, et tu n'as pas fait un
pas en avant! Resigne-toi donc a mourir sans avoir ete heureux!...
H
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