omptez-les
bien.
-- Je les compte.
-- D'abord, celle du reve. Si le roi gagne, il est certain qu'il
vous donne les bracelets.
-- J'admets cela pour une.
-- Si vous les gagnez, vous les avez.
-- Naturellement; c'est encore admissible.
-- Enfin, si Monsieur les gagnait!
-- Oh! dit Madame en riant aux eclats, il les donnerait au
chevalier de Lorraine.
Anne d'Autriche se mit a rire comme sa bru, c'est-a-dire de si bon
coeur, que sa douleur reparut et la fit blemir au milieu de
l'acces d'hilarite.
-- Qu'avez-vous? dit Madame effrayee.
-- Rien, rien, le point de cote... J'ai trop ri... Nous en etions
a la quatrieme chance.
-- Oh! celle-la, je ne la vois pas.
-- Pardonnez-moi, je ne me suis pas exclue des gagnants, et, si je
gagne, vous etes sure de moi.
-- Merci! Merci! s'ecria Madame.
-- J'espere que vous voila favorisee, et qu'a present le reve
commence a prendre les solides contours de la realite.
-- En verite, vous me donnez espoir et confiance, dit Madame, et
les bracelets ainsi gagnes me seront cent fois plus precieux.
-- A ce soir donc!
-- A ce soir!
Et les princesses se separerent.
Anne d'Autriche, apres avoir quitte sa bru, se dit en examinant
les bracelets:
"Ils sont bien precieux, en effet, puisque par eux, ce soir, je me
serai concilie un coeur en meme temps que j'aurai devine un
secret."
Puis, se tournant vers son alcove deserte:
-- Est-ce ainsi que tu aurais joue, ma pauvre Chevreuse? dit-elle
au vide... Oui, n'est-ce pas?
Et, comme un parfum d'autrefois, toute sa jeunesse toute sa folle
imagination, tout le bonheur lui revinrent avec l'echo de cette
invocation.
Chapitre CXXXIX -- La loterie
Le soir, a huit heures, tout le monde etait rassemble chez la
reine mere.
Anne d'Autriche, en grand habit de ceremonie, belle des restes de
sa beaute et de toutes les ressources que la coquetterie peut
mettre en des mains habiles, dissimulait, ou plutot essayait de
dissimuler a cette foule de jeunes courtisans qui l'entouraient et
qui l'admiraient encore, grace aux combinaisons que nous avons
indiquees dans le chapitre precedent, les ravages deja visibles de
cette souffrance a laquelle elle devait succomber quelques annees
plus tard.
Madame, presque aussi coquette qu'Anne d'Autriche, et la reine,
simple et naturelle, comme toujours, etaient assises a ses cotes
et se disputaient ses bonnes graces.
Les dames d'honneur, reunies en corps d'armee pour res
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