sfait.
-- Vous voyez, vous le dites vous-meme, toujours satisfait. Et
vous avez attribue cette satisfaction?...
-- A ce que ton commerce allait bien; a ce que les achats de riz,
de pruneaux, de cassonade, de poires tapees et de melasse allaient
a merveille. Tu as toujours ete fort pittoresque de caractere,
Planchet; aussi n'ai-je pas ete surpris un instant de te voir
opter pour l'epicerie, qui est un des commerces les plus varies et
les plus doux au caractere, en ce qu'on y manie presque toutes
choses naturelles et parfumees.
-- C'est bien dit, monsieur; mais quelle erreur est la votre!
-- Comment, j'erre?
-- Quand vous croyez que je vais comme cela tous les quinze jours
en recettes ou en achats. Oh! oh! monsieur, comment diable avez-
vous pu croire une pareille chose? Oh! oh! oh!
Et Planchet se mit a rire de facon a inspirer a d'Artagnan les
doutes les plus injurieux sur sa propre intelligence.
-- J'avoue, dit le mousquetaire, que je ne suis pas a ta hauteur.
-- Monsieur, c'est vrai.
-- Comment, c'est vrai?
-- Il faut bien que ce soit vrai puisque vous le dites; mais
remarquez bien que cela ne vous fait rien perdre dans mon esprit.
-- Ah! c'est bien heureux!
-- Non, vous etes un homme de genie, vous; et, quand il s'agit de
guerre, de surprises, de tactique et de coups de main, dame! les
rois sont bien peu de chose a cote de vous; mais, pour le repos de
l'ame, les soins du corps, les confitures de la vie, si cela peut
se dire, ah! monsieur, ne me parlez pas des hommes de genie, ils
sont leurs propres bourreaux.
-- Bon! Planchet, dit d'Artagnan petillant de curiosite, voila que
tu m'interesses au plus haut point.
-- Vous vous ennuyez deja moins que tout a l'heure, n'est-ce pas?
-- Je ne m'ennuyais pas; cependant, depuis que tu me parles, je
m'amuse davantage.
-- Allons donc! bon commencement! Je vous guerirai.
-- Je ne demande pas mieux.
-- Voulez-vous que j'essaie?
-- A l'instant.
-- Soit! Avez-vous ici des chevaux?
-- Oui: dix, vingt, trente.
-- Il n'en est pas besoin de tant que cela; deux, voila tout.
-- Ils sont a ta disposition, Planchet.
-- Bon! je vous emmene.
-- Quand cela?
-- Demain.
-- Ou?
-- Ah! vous en demandez trop.
-- Cependant tu m'avoueras qu'il est important que je sache ou je
vais.
-- Aimez-vous la campagne?
-- Mediocrement, Planchet.
-- Alors vous aimez la ville?
-- C'est selon.
-- Eh bien! je vous mene dans un endroit
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