liait dans les journaux ne lui echappait; aussi aux
premiers mots de l'agent comprit-il tout de suite de quoi il allait etre
question:
C'est pour l'affaire de la rue Sainte-Anne que vous avez besoin de ces
renseignements? demanda-t-il.
--Franchement, oui.
--Eh bien, franchement aussi, je ne sais si le secret professionnel me
permet de vous repondre.
L'agent, qui n'etait pas bete, sentit tout de suite a qui il avait
affaire, et, au lieu de s'abandonner a l'envie de rire qu'avait
provoquee cette reponse faite noblement, par ce bonhomme dont la longue
barbe noire touffue et la calvitie accentuaient la gravite, il prit une
figure de circonstance:
--C'est a discuter, dit-il.
--Alors discutons: un client confiant dans ma probite et ma discretion
me donne un pantalon a faire; il me paye comme il convient, sans rien
rabattre et au jour dit; les choses se passent entre nous loyalement; je
lui donne un bon pantalon honnetement confectionne, il me paye en bon
argent. Nous sommes quittes; ai je le droit ensuite, par des paroles
imprudentes ou autrement, de fournir des armes contre lui? Le cas est
delicat.
--Mettez-vous l'interet de l'individu au-dessus de celui de la societe?
--Quand il s'agit du secret professionnel, oui. Ou irions-nous si
l'avocat, le notaire, le medecin, le confesseur, le tailleur pouvaient
accepter des compromissions sur ce point de doctrine? A l'anarchie tout
simplement, et, en fin de compte, ce serait l'interet de la societe qui
en souffrirait.
L'agent, qui n'avait pas de temps a perdre, commencait a s'impatienter.
--Je vous ferai remarquer, dit-il, que le tailleur, quelle que soit
l'importance de sa profession, n'est pas tout a fait dans les memes
conditions que le medecin ou le confesseur, qui ne tiennent pas une
comptabilite pour ce que leur confient leurs clients. Vous, n'est-ce
pas, vous avez un livre sur lequel vous inscrivez les commandes de vos
clients?
--Certainement.
--De sorte que si, mal inspire et perseverant dans une theorie poussee a
l'extreme, vous ne voulez pas repondre a mes questions, je n'aurais
qu'a aller chercher le commissaire de votre quartier qui, en vertu des
pouvoirs que la loi lui confere, saisirait vos livres....
--Ce serait de la violence, et ma responsabilite se trouverait degagee.
--Et sur ces livres M. le juge d'instruction verrait a qui vous avez
fourni un pantalon de cette etoffe; il ne resterait plus qu'a decouvrir
dans quel interet vous ave
|