ils s'y sont
repris a deux fois. Au reste, l'accident de l'an dernier a un peu
refroidi les amateurs.
--Un accident! Lequel donc?
--Ah! monsieur l'ignore? Voici la chose. Une caravane, composee de dix
guides et porteurs et de deux Anglais, est partie vers le mi-septembre
pour le mont Blanc. On l'a vue arriver au sommet, puis, quelques minutes
apres, elle a disparu dans un nuage. Quand le nuage fut dissipe, on ne
vit plus personne. Les deux voyageurs avec sept guides et porteurs
avaient ete enleves par le vent et precipites du cote de Cormayeur, sans
doute dans le glacier de la Brenva. Malgre les recherches les plus
actives, on n'a pas pu retrouver leurs corps. Les trois autres ont ete
trouves a 150 metres au-dessous de la cime, vers les Petits-Mulets. Ils
etaient passes a l'etat de blocs de glace.
--Mais alors ces voyageurs ont du commettre quelque imprudence? dis-je a
Ravanel. Quelle folie de partir aussi tard pour une semblable
expedition! C'etait au mois d'aout qu'il fallait la faire!"
J'avais beau me debattre, cette lugubre histoire me trottait dans
l'esprit. Heureusement que bientot le temps se degagea et que les rayons
d'un beau soleil vinrent dissiper les nuages qui voilaient encore le
mont Blanc, et, en meme temps, ceux qui obscurcissaient mon esprit.
Notre ascension s'accomplit a souhait. En quittant les chalets de
Planpraz, situes a 2,062 metres, on monte par des eboulis de pierres et
par des flaques de neige jusqu'au pied d'un rocher nomme la Cheminee,
qu'on escalade en s'aidant des pieds et des mains. Vingt minutes apres,
on est au sommet du Brevent, d'ou la vue est admirable. La chaine du
mont Blanc apparait alors dans toute sa majeste. Le gigantesque mont,
solidement etabli sur ses puissantes assises, semble defier les tempetes
qui glissent sur son bouclier de glace sans jamais l'entamer, tandis que
cette foule d'aiguilles, de pics, de montagnes, qui lui font cortege et
se haussent a l'envi autour de lui, sans pouvoir l'egaler, portent les
traces evidentes d'une lente decomposition.
Du belvedere admirable que nous occupions, on commence a se rendre
compte, quoique bien imparfaitement encore, des distances a parcourir
pour arriver au sommet. La cime, qui, de Chamonix, parait si rapprochee
du dome du Gouter, reprend sa veritable place. Les divers plateaux qui
forment autant de degres qu'il faudra franchir, et qu'on ne peut
apercevoir d'en bas, se decouvrent aux yeux et reculent encore, par les
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