lois de la perspective, ce sommet si desire. Le glacier des Bossons,
dans toute sa splendeur, se herisse d'aiguilles de glace et de seracs
(blocs de glace ayant quelquefois jusqu'a dix metres de cote), qui
semblent battre, comme les flots d'une mer irritee, les parois des
rochers des Grands-Mulets, dont la base disparait au milieu d'eux.
Ce spectacle merveilleux n'etait pas fait pour me refroidir, et plus que
jamais je me promis d'explorer ce monde encore inconnu pour moi.
Mon compagnon de voyage se laissait egalement gagner par l'enthousiasme,
et, a partir de ce moment, je commencai a croire que je n'irais pas seul
au mont Blanc.
Nous redescendimes a Chamonix; le temps s'ameliorait de plus en plus; le
barometre continuait lentement son mouvement ascensionnel: tout se
preparait pour le mieux.
Le lendemain, des l'aube, je courus chez le guide-chef. Le ciel etait
sans nuages: le vent, presque insensible, s'etait fixe au nord-est. La
chaine du mont Blanc, dont les sommets principaux se doraient aux rayons
du soleil levant, semblait engager les nombreux touristes a lui rendre
visite. On ne pouvait, sans impolitesse, refuser une aussi aimable
invitation. M. Balmat, apres avoir consulte son barometre, declara
l'ascension faisable et me promit les deux guides et le porteur
prescrits par le reglement. Je lui en laissai le choix. Mais un incident
auquel je ne m'attendais pas vint jeter quelque trouble dans les
preparatifs du depart.
En sortant du bureau du guide-chef, je rencontrai Edouard Ravanel, mon
guide de la veille.
"Est-ce que monsieur va au mont Blanc? me dit-il.
--Oui, sans doute, repondis-je. Ne trouvez-vous pas le moment bien
choisi?"
Il reflechit quelques minutes, et d'un air un peu contraint:
"Monsieur, me dit-il, vous etes mon voyageur; je vous ai accompagne hier
au Brevent, je ne puis donc vous abandonner, et puisque vous allez
la-haut, j'irai avec vous, si vous voulez bien accepter mes services.
C'est votre droit, car pour toutes les courses dangereuses le voyageur
peut choisir ses guides. Seulement, si vous acceptez mon offre, je vous
demande de m'adjoindre mon frere, Ambroise Ravanel, et mon cousin,
Gaspard Simon. Ce sont de jeunes et vigoureux gars; ils n'aiment pas
plus que moi un semblable voyage, mais ils ne bouderont pas a l'ouvrage,
et je vous reponds d'eux comme de moi-meme."
Ce garcon m'inspirait toute confiance. J'acceptai, et j'allai sans
perdre de temps prevenir le guide-chef du
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