re rien: celui qui aime les
montagnes me comprendra.
Apres avoir assiste a cette scene grandiose, nous n'avions plus qu'a
attendre l'heure du depart. Nous devions nous mettre en route a deux
heures du matin. Chacun s'etend sur son matelas.
Dormir, il n'y faut pas songer; causer, pas davantage. On est absorbe
par des idees plus ou moins sombres; c'est la nuit qui precede la
bataille, avec cette difference que rien ne vous oblige a engager le
combat. Deux courants d'idees se disputent la possession de votre
esprit. C'est le flux et le reflux de la mer, chacun l'emporte a son
tour. Les objections a une semblable entreprise ne manquent pas. A quoi
bon courir cette aventure? Si on reussit, quel avantage en peut-on
retirer? S'il arrive un accident, que de regrets! Alors l'imagination
s'en mele; toutes les catastrophes de la montagne se presentent a votre
esprit. Vous revez ponts de neige manquant sous vos pas, vous vous
sentez precipite dans ces crevasses beantes, vous entendez les
craquements terribles de l'avalanche qui se detache et va vous
ensevelir, vous disparaissez, le froid de la mort vous saisit, et vous
vous debattez dans un effort supreme!...
Un bruit strident, quelque chose d'horrible se produit a ce moment.
"L'avalanche! l'avalanche! criez-vous.
--Qu'est-ce que vous avez? qu'est-ce que vous faites?" s'ecrie Levesque,
reveille en sursaut.
Helas! c'est un meuble que, dans le supreme effort de mon cauchemar, je
viens de culbuter avec fracas! Cette avalanche prosaique me rappelle a
la realite. Je ris de mes terreurs, le courant contraire reprend le
dessus, et avec lui les idees ambitieuses. Il ne tient qu'a moi, avec un
peu d'effort, de fouler ce sommet si rarement atteint! C'est une
victoire comme une autre! Les accidents sont rares, tres-rares! Ont-ils
eu lieu meme? De la cime le spectacle doit etre si merveilleux! Et puis,
quelle satisfaction d'avoir accompli ce que tant d'autres n'ont ose
entreprendre!
A ces pensees, mon ame se raffermit, et c'est avec calme que j'attends
le moment du depart.
Vers une heure, les pas des guides, leurs conversations, le bruit des
portes qu'on ouvre nous indiquent que le moment approche. Bientot M.
Ravanel entre dans notre chambre:
"Allons, messieurs, debout, le temps est magnifique. Vers dix heures
nous serons au sommet."
A ces paroles, nous sautons a bas de nos lits et nous procedons
lestement a notre toilette. Deux de nos guides, Ambroise Ravanel et son
co
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